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Evacuation de la bourse du travail à Paris

L’avis d’Emmanuel Terray
Samedi 4 juillet 2009

L’affaire des sans-papiers expulsés de la bourse du travail à Paris ne fait plus la une des journaux. En cela, elle a rejoint aux oubliettes journalistiques les nombreux conflits actuellement en cours (voir ADOMA…). Avec la Coordination des sans-papiers de Paris (CSP 75) et dans l’indifférence médiatique totale, les expulsés campent désormais sur le trottoir. On lira avec intérêt le point de vue de l’anthropologue Emmanuel Terray, trèa actif au sein de l’UCIJ [Uni(e)s contre une immigration jetable], sur l’évacuation de la bourse du travail à l’initiative de la CGT.

Je voudrais donner mon sentiment sur l´évacuation de la Bourse du Travail et sur les réactions qu´elle a entrainées. Je le fais à titre personnel, puisque la LDH a pour l´instant décidé de ne signer aucun texte et de ne participer à aucune réunion sur ce sujet. Mais comme, dans le cadre de l´UCIJ, j´ai suivi de près l´ensemble de la séquence qui a conduit à cette évacuation, je ne saurais rester indifférent et muet devant certaines affirmations et certaines attitudes.

1. En ce qui concerne la violence de l´opération, comme toujours en pareil cas nous sommes en présence de versions rigoureusement contradictoires ; comme je n´ai aucune raison de mettre en doute ni la parole des uns ni celle des autres, je ne porte pour l´instant aucun jugement. Au surplus, je ne connais pas d´expulsion qui ait été menée à coup de bouquets de fleurs.

C´est donc bien sur le fond qu´il faut se prononcer plus que sur la forme.

2. De fait, on ne saurait porter un jugement politique sur cet épisode en l´isolant du processus d´ensemble dont il a été le résultat. L´évacuation de la Bourse n´est pas tombée du ciel, elle est le produit d´une histoire sur laquelle il faut revenir.

3. Le point de départ de cette histoire, c´est le mouvement de grève des travailleurs sans-papiers lancé le 15 avril 2008 à l´initiative de la CGT, de Droits-Devant et de Femmes-Egalité. Pendant des semaines, ces travailleurs vont poursuivre la grève et l´occupation, dans des conditions souvent très dures, pour arracher leur régularisation.

À l´époque chacun est d´accord pour considérer que ce mouvement marque un tournant capital dans l´histoire du mouvement des sans-papiers, pour au moins deux raisons : c´est la première fois que les travailleurs sans-papiers recourent aussi massivement et courageusement à l´arme de la grève pour faire avancer leur cause ; par ailleurs, c´est aussi la première fois depuis 1980 qu´une grande organisation syndicale s´engage résolument pour défendre les sans-papiers, non seulement en tant que sans-papiers, mais aussi en tant que travailleurs, avec tous les effets que cela peut produire dans l´opinion.

Nous portons donc sur ce mouvement une appréciation très positive. C´est cette appréciation que j´exprime au nom de l´UCIJ, lors du meeting CGT de la Halle Carpentier.

4. C´est au moment même où ce mouvement est en plein développement que la CSP 75 occupe la Bourse de Travail. Quelles que soient les raisons alléguées et les intentions implicites, cette occupation est incontestablement un coup porté à la CGT et au mouvement de grève, puisque le fonctionnement de l´UD-CGT de Paris est gravement perturbé, pour le plus grand plaisir de la Préfecture.

Dès ce moment-là , les associations membres de l´UCIJ estiment unanimement que la CSP 75 « se trompe de cible » et « risque de porter préjudice à l´ensemble des sans-papiers ».

5. Cependant comme la CGT tente de résoudre le problème par la discussion, nous joignons nos efforts aux siens. Il faut rappeler que c´est sur l´intervention de la CGT que les occupants de la Bourse ont pu déposer leurs dossiers ; et les conditions de dépôt ont été discutées à la Préfecture par une délégation qui comprenait des représentants de la CSP 75, des représentants des associations et qui était conduite par le secrétaire de l´UD. CGT, Patrick Picard.

À la même date, la CGT et les associations proposent de suivre l´ensemble des dossiers, et qu´en contre partie la Bourse soit évacuée. Ces propositions sont refusées par la CSP 75.

6. Au cours du mois de juillet, le projet d´une prise de position collective est discuté au sein de l´UCIJ. Après des débats animés, nous arrivons à un texte commun, rédigé par Violaine Carrère (Gisti). Ce texte rappelle notre appréciation sur l´occupation -elle se trompe de cible- les propositions que nous avons faites, et notre inquiétude face aux refus qui nous ont été opposés. Je tiens ce texte à la disposition de ceux qui l´auraient oublié.

Son but était de convaincre les représentants de la CSP 75 de l´impasse où ils s´engageaient et de leur isolement.

7. Quelques jours plus tard, le bureau du GISTI décide de ne pas signer le texte ; il est aussitôt suivi par RESF. Or le texte n´avait de sens que dans la mesure où il était porté par l´ensemble des associations : ces retraits le rendent inutile, et il est « classé sans suite ». Désormais les associations ne diront plus rien sur l´occupation de la Bourse.

Le sens de ce silence est clair : il signifie que l´occupation de la Bourse ne concerne pas les associations, que c´est le problème de la CGT, et d´elle seule. Du même coup, la CSP 75 peut entretenir l´illusion que son action est moins isolée qu´il ne paraît parmi les associations.

8. Tout ceci trouve une confirmation éclatante lors de la réunion qui s´est tenue le 13 avril 2009 au Gisti sur la régularisation par le travail. Alors que Raymond Chauveau (CGT) aborde le problème posé par l´occupation de la Bourse, Stéphane Maugendre (Gisti) qui préside, lui coupe immédiatement la parole pour dire que ce problème n´est pas à l´ordre du jour et qu´on n´en parlera pas.

9. Il faut dès lors une belle dose d´hypocrisie pour jouer la surprise effarouchée devant une expulsion dont tout le monde savait -y compris les occupants eux-mêmes- qu´elle allait tôt ou tard se produire. A partir de juillet 2008, les associations se sont interdit toute prise de position, toute intervention qui aurait pu favoriser la recherche d´une autre issue. Elles ont délibérément laissé les occupants de la Bourse en tête-à -tête avec la CGT : elles sont donc mal placées aujourd´hui pour pousser des cris d´orfraie et donner des leçons à quiconque. D´autant que si la même aventure était arrivée à l´une ou l´autre d´entre elles, aucune n´aurait attendu 14 mois pour récupérer ses locaux…

10. En ce qui concerne l´avenir, il n´est pas sérieux de dire : « oublions le passé et embrassons-nous ». Les conflits refoulés reviennent toujours et toujours de façon pathologique. Il est encore moins sérieux de jouer les Ponce Pilate et de dire « les responsabilités sont partagées, il y a des torts de part et d´autre » ; à mon sens, il faut vider l´abcès : c´est la seule façon de repartir sur des bases politiques saines. Le texte de juillet 2008 pourrait nous fournir un excellent point de départ.

En second lieu, il faut écarter toute mesure qui tendrait à pérenniser le campement installé devant la Bourse. La prolongation de ce campement risque à tout moment de provoquer de nouveaux incidents et d´aggraver la tension. Les associations qui souhaitent venir en aide aux campeurs peuvent toujours mettre leurs locaux à leur disposition.

En troisième lieu, je suis prêt à lutter pour la régularisation des occupants de la Bourse comme je suis prêt à lutter pour la régularisation de tous les sans-papiers, ni plus ni moins. Pendant des mois, certains ont reproché à la CGT de privilégier une catégorie de sans-papiers en oubliant les autres : il ne serait donc pas cohérent de créer une nouvelle catégorie de sans-papiers « prioritaires » : les occupants de la Bourse.

Enfin, je veux rappeler les enjeux décisifs que sont pour le mouvement dans son ensemble la grève des travailleurs sans-papiers et l´engagement résolu de la CGT à leurs côtés. Qu´au nom de l´affaire de la Bourse, ces enjeux soient désormais tenus pour quantité négligeable, cela me paraît une erreur politique majeure et une attitude complètement irresponsable.

Emmanuel Terray le 30 juin 2009

Emmanuel Terray (né en 1935) est un anthropologue français. Ancien élève de l’École normale supérieure (de 1957 à 1961), agrégé de philosophie, il s’oriente rapidement vers l’anthropologie après avoir découvert les Structures élémentaires de la parenté de Claude Lévi-Strauss, et en vient à soutenir une thèse sous la direction du médecin et anthropologue Pierre Huard, consacrée à l’ethnosociologie des Didas de Côte d’Ivoire. Il cherche alors à constituter d’une anthropologie politique qui puisse s’inscrire dans le projet marxiste de Louis Althusser[1]. Installé depuis quelques années à Abidjan, où il avait été nommé doyen de l’université, il doit revenir à Paris après événements de Mai 68, pour lesquels il avait affiché trop de sympathie. Il intègre alors la nouvelle équipe de l’Université de Vincennes. Il soutient en 1984 son doctorat d’État sous le patronage de Georges Balandier avec une thèse sur le royaume Abron du Gyaman (publiée en 1995), et devient directeur d’étude à l’EHESS. En dehors de son œuvre anthropologique (en grande partie publiées en articles dans des revues spécialisées), Emmanuel Terray a signé une série d’essais plus personnels à partir de la fin des années 1980. Il s’y confronte à sa propre histoire et à sa formation philosophique et politique.

Voir en ligne : article lu sur le site rouge midi

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