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Fuir l’histoire ?

l’autophobie communiste…
воскресенье 21 Сентябрь 2008 — Последнее обновление вторник 14 Апрель 2020

Domenico Losurdo est un communiste italien qui ne renonce pas et qui refuse de voir la réalité de manière superficielle. Il est de ces intellectuels italiens à l’origine de la résurrection récente d’un parti communiste dans ce pays (l’histoire nous dira ce qu’il deviendra…). Dans la préface à un de ses récents ouvrages, ce professeur à l’université d’Obino, philosophe et historien, nous parle de l’autophobie, sorte d’autoflagellation qui frappe notamment certains membres du PCF au point de renier leur véritable identité et de s’autodétruire. C’est un point de vue intéressant pour comprendre l’enlisement du PCF dans le réformisme. Mais c’est aussi l’espoir qu’à l’échelle de l’histoire, renaisse de ses cendres un PCF… fier d’être communiste !

Pascal Brula


Préface de «Fuir l’histoire – La révolution russe et la révolution chinoise aujourd’hui», aux éditions Delga et Le Temps des Cerises, 2007 (première version 1999).

Par Domenico Losurdo

En 1818, en pleine période de Restauration, quand la faillite de la Révolution française paraissait évidente, même ceux qui l’avaient d’abord saluée favorablement se préoccupaient de prendre leurs distances avec l’évènement historique commencé en 1789 : la Révolution française aurait été une erreur colossale ou, pire, une honteuse trahison de nobles idéaux. Byron allait en ce sens lorsqu’il chantait «Mais la France s’enivra de sang pour vomir des crimes/ Et ses Saturnales ont été fatales/ A la cause de la Liberté, en toute époque et pour toute la Terre». Devons-nous aujourd’hui faire nôtre ce désespoir, en nous limitant seulement à remplacer la date de 1789 par celle de 1917 et la «cause de la Liberté» par la «cause du socialisme»Â ? Les communistes doivent-ils avoir honte de leur histoire ?

L’histoire des persécutions subies par des groupes ethniques ou religieux nous place devant un phénomène singulier. Il arrive que les victimes elles-mêmes tendent à s’approprier le point de vue des oppresseurs et commencent par conséquent à se mépriser et à se haïr elles-mêmes. Le Selbsthaβ ou self-hate, l’autophobie, a été étudiée surtout à propos des Juifs, qui pendant des millénaires ont été les victimes d’une campagne systématique de discrimination et de diffamation. Mais quelque chose d’analogue s’est produit au cours de l’histoire, elle-même tragique, des Noirs déportés hors de leur terre, soumis à l’esclavage, à l’oppression et privés de leur propre identité : il est arrivé que les jeunes femmes afro-américaines, même celles d’une grande beauté, se soient mises à désirer et à rêver d’être blanches ou, au moins, de voir s’atténuer le noir de leur teint. L’adhésion des victimes aux valeurs des oppresseurs peut être à ce point radicale.

Le phénomène de l’autophobie ne concerne pas seulement des groupes ethniques et religieux. Elle peut frapper des classes sociales et des partis politiques rescapés d’une grave défaite, surtout si les vainqueurs, mettant leurs armes véritables de côté ou au second plan, continuent leur campagne meurtrière maintenant confiée à la puissance de feu multimédiatique. Parmi les divers problèmes qui affectent le mouvement communiste, celui de l’autophobie n’est certainement pas le moindre. Laissons de côté les ex-dirigeants et les ex-représentants du Parti Communiste Italien (PCI), qui déclarent parfois avoir adhéré à ce parti dans un lointain passé sans jamais avoir été communistes. Ce n’est pas par hasard s’ils tournent, avec admiration et peut-être même avec envie, leur regard vers des personnalités comme Bill Clinton qui, à l’occasion de sa réélection, a remercié Dieu de l’avoir fait naître Américain. Une forme subtile d’autophobie est stimulée chez tous ceux qui n’ont pas la chance de faire partie du peuple élu, le peuple auquel la Providence a confié la tâche de diffuser dans le monde, par tous les moyens, les idées et les marchandises made in USA.

Comme je le disais, il convient de laisser de côté ces ex-communistes qui regrettent de ne pas être nés anglo-saxons et libéraux et d’avoir été placés par une marâtre nature loin du cœur sacré de la civilisation. Mais malheureusement, l’autophobie se manifeste aussi dans les rangs de ceux qui, tout en continuant à se déclarer communistes, se montrent obsédés par le souci de réaffirmer qu’ils n’ont absolument rien à voir avec un passé qu’ils considèrent, eux comme leurs adversaires politiques, comme tout simplement synonyme d’abjection. Au narcissisme hautain des vainqueurs, qui transfigurent leur propre histoire, correspond l’autoflagellation des vaincus.

Il va de soi que la lutte contre la plaie de l’autophobie s’avérera d’autant plus efficace que le bilan du grand et fascinant moment historique commencé avec la révolution d’Octobre sera radicalement critique et sans préjugés. Car, malgré leurs assonances, l’autocritique et l’autophobie sont deux attitudes antithétiques. Dans sa rigueur, et même dans son radicalisme, l’autocritique exprime la conscience de la nécessité de faire ses comptes jusqu’au bout avec sa propre histoire. L’autophobie est une fuite lâche devant cette histoire et devant la réalité de la lutte idéologique et culturelle toujours brûlante. Si l’autocritique est le présupposé de la reconstruction de l’identité communiste, l’autophobie est synonyme de capitulation et de renonciation à une identité autonome.

Urbino, février 1999.

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