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Colloque de la revue Utopie Critique. « Communisme - Nation - République ».

La république est l’avenir du communisme

François Morvan
Samedi 31 mars 2001 — Dernier ajout vendredi 29 mai 2020

En organisant ce colloque, nous avons voulu intervenir dans un moment particulier de l’histoire de notre pays, qui me semble à un tournant majeur.

Si l’on veut résumer ce que furent les deux derniers siècles en France, on peut dire qu’ils ont été marqués par le séisme de la Révolution française de 1789, par ses développements, par les contradictions de son héritage.

La Révolution française a été porteuse d’un message universel, celui de l’égalité entre les êtres humains. Cette promesse d’égalité ne pouvait signifier l’égalité naturelle, chaque être étant différent, doté de qualités inégales d’un individu à l’autre. La diversité elle-même signifie l’inégalité des dons, des capacités, des aptitudes. La Révolution française introduisait donc l’égalité réelle, celle des droits, fondée sur une démocratie forte qui en soit la garantie par la loi, égale pour tous. L’idéal communiste est venu élargir cette problématique en affirmant que l’étendue concrète de ces droits était en elle-même un facteur historique qui dépendait du niveau de développement des « forces productives », et qui devait par conséquent être pensé non seulement sur le plan des droits politiques au sens étroit, mais s’étendre au champ dit « social » et remettre en cause la base structurelle de l’inégalité : l’existence de classes sociales s’opposant autour de la question de la propriété des moyens de production.

Il n’est pas exagéré de dire que c’est cela qui est désormais en jeu. Chacun a bien compris que la vague libérale d’aujourd’hui va bien au-delà d’une offensive patronale en matière de salaires et de droits sociaux. Elle constitue une revanche sur le long terme contre les idéaux de la Révolution française, des Lumières, qui ont voulu fonder la liberté sur le principe de l’égalité entre les hommes sur la base du droit et de la citoyenneté, alors que la doctrine libérale postule que cette liberté implique la privatisation générale de l’espace social et que l’inégalité qui en résulte n’est que le constat de l’inégalité naturelle des capacités et des aptitudes. Un volet de sécurité caritatif, que ce soit sur le plan politique ou sur le plan social, de « régulation », suffit comme correcteur des manifestations les plus insoutenables de cette conception. Certes, ce modèle libéral ne s’est jamais appliqué dans sa forme chimiquement pure, pas plus d’ailleurs que le modèle républicain. Mais il y a là deux conceptions antagoniques du monde et de l’humanité. Ce qui est tragiquement frappant, c’est la grande difficulté des héritiers contemporains de l’épopée communiste à en appréhender le sens profond.

Marx devint communiste au contact des sociétés ouvrières de Paris des années 1840. Ces sociétés étaient elles-mêmes les héritières de l’aile radicale de la Révolution française, celle qui voulait étendre les champs de l’égalité non seulement aux droits politiques, mais aussi aux droits sociaux. Cette volonté d’extension radicale de l’égalité des droits allait évidemment se heurter à la vision limitée qui fut celle de la bourgeoisie. Celle-ci bornait son horizon à une égalité formelle, contenue dans une démocratie politique limitée, tandis que le champ social continuait à être brutalement divisé entre maîtres et serviteurs du nouvel ordre industriel venu se substituer à l’ordre féodal ancien. La bourgeoisie voulait une République hypocrite, où la liberté des citoyens signifierait d’abord et avant tout la mobilité de la main-d’œuvre, qui ne devait plus, pour les besoins du marché capitaliste, rester attachée aux seigneurs féodaux pas plus qu’aux anciennes structures du compagnonnage et des corps de métiers. La loi Le Chapelier fut ainsi chargée d’un sens éminemment contradictoire : prononçant la dissolution des formes anciennes d’organisation du travail, elle libérait les travailleurs de leurs anciennes attaches, mais les mettait ainsi à la merci de l’exploitation du « libre » salariat.

Le mouvement ouvrier allait ainsi se développer dans un rapport à l’idée républicaine profondément contradictoire.

Le socialisme et le communisme, enfants indociles de la République

D’un côté, Jean Jaurès proclamant la nécessité pour le socialisme et la République de se rejoindre. De l’autre, un « socialisme ouvrier », partageant avec l’anarchisme le rejet en bloc de la République comme pure manipulation bourgeoise. Madeleine Rébérioux a rappelé avec une grande force d’évocation ce que fut ce débat oublié du socialisme du début du siècle, qui conduisit par exemple le parti socialiste naissant à être initialement neutre dans l’affaire Dreyfus. Non seulement la République apparaissait comme le faire-valoir de l’ordre industriel capitaliste, mais le parlementarisme lui-même excluait de la vie politique les représentants des classes populaires. Les partis politiques n’étaient pas des réalités de masse, ils ne possédaient aucun salarié, n’avaient aucun moyen de former aux responsabilités ceux qui n’en avaient pas les capacités du fait de leur appartenance sociale. La représentation politique et sociale étaient ainsi totalement accaparée par les notables. En 1904, l’embryon de parti socialiste comportait un salarié. Cette situation conduisait à une ambivalence manifeste du socialisme vis-à -vis de la République : d’un côté, on aspirait à en être, et, de l’autre, on la rejetait radicalement.

La Révolution russe portera cette ambivalence : d’un côté, on voit Lénine et Trotsky affirmer qu’elle est la continuatrice de 1789 et l’héritière des jacobins. De l’autre, elle fut le vecteur de l’antiparlementarisme, de la méfiance vis-à -vis de la démocratie délégataire et du suffrage universel à bulletins secrets. On voit bien, avec le recul de l’histoire, que la dissolution de la Douma en 1918 allait bien au-delà de considérations de circonstances, parfaitement admissibles en elles-mêmes, mais qu’elle signifiait une vision très particulière de la démocratie, réduite à une dictature de classe du prolétariat contre le reste de la société et les anciennes classes dirigeantes. La dissolution de la Douma, considérée dans sa composition comme en retard sur la vague révolutionnaire, ne fut suivie d’aucune autre élection équivalente. La méfiance envers le parlement bourgeois et la démocratie délégataire ne laissa qu’un vide. Rien ne venait alors compléter la démocratie directe et pyramidale des soviets, ce vide fut comblé par la bureaucratie du Parti et de l’Etat, qui vient remplir le rôle de légitimité générale qui ne pouvait être joué par la simple somme d’élections directes. Lénine, à la veille de la révolution d’Octobre, imagine naïvement l’application directe à la Russie des formules de Marx sur la disparition de l’Etat. Il imagine un Etat se dissolvant dans la société toute entière par la logique du pouvoir soviétique. Cette conception atemporelle, télescopant la réalité immédiate avec un objectif à long terme, fut à la source d’un résultat à l’opposé des espérances. Loin de voir « chaque ménagère capable de gérer l’Etat », celui-ci fut accaparé sans contrôle par une bureaucratie s’autoproclamant détentrice de l’intérêt général. Dans une telle logique, la dynamique de la démocratie directe devait être rapidement vidée de son contenu, et d’autant plus vite que les conditions historiques concrètes, celle de la guerre civile, en éliminaient toute base matérielle sérieuse.

Penser la (le) politique

Le ou les marxismes, on le sait bien, ont été parfois très loin de la pensée de Marx, que ses épigones du XXe siècle ne connaissaient souvent que très partiellement.

L’une des plus grandes difficultés pour ce grand courant d’idées et d’espérance sociale fut de penser spécifiquement la politique. L’idée réductrice dominante fut de croire que la politique n’était que de l’économie concentrée ou, à l’inverse, que l’économie pouvait s’administrer dès lors que des décisions politiques étaient prises. Même l’un des esprits les plus profonds et les plus cultivés du marxisme que fut Léon Trotski n’échappât pas à cette réduction, qui fut pour une part à la racine de son incompréhension conceptuelle de la dégénérescence bureaucratique de l’Union soviétique. Sa réflexion sur la culture et la nation aurait dû le porter à plus de clairvoyance sur les relations dialectiques, et non pas linéaires, entre base sociale, division en classes et représentation politique. Trotski a toujours considéré que les nations constituaient un facteur de long terme dans l’histoire de l’humanité. En parallèle, il plaida dans les années 20 contre la notion de « culture prolétarienne », réaffirmant avec Marx que le prolétariat avait pour mission le dépassement de toutes les dominations de classes antérieures pour inaugurer un règne de société sans classes. Dans ces conditions, le prolétariat ne pouvait sécréter une culture « prolétarienne » spécifique, mais se rapproprier tout l’héritage culturel et national antérieur pour en faire le socle d’une société nouvelle débarrassée de l’exploitation de l’homme par l’homme.

Il aurait pu en dire autant des formes politiques. Dès lors que le socialisme affichait comme ambition l’avènement d’une société sans classes (antagoniques), il manifestait, comme Marx l’avait proclamé, l’intention de rassembler derrière lui l’ensemble de la société, y compris les anciennes classes intermédiaires. Le combat du socialisme est un combat de classes, son projet est universel. Dans ces conditions, les formes politiques doivent en être la projection. Elles doivent fournir un modèle d’intégration pour chaque citoyenne et chaque citoyen. Si la « République sociale » veut, à juste titre, réconcilier le citoyen et le producteur, faire que le droit égal ne s’arrête pas aux portes de l’entreprise, elle ne peut à son tour vouloir réduire le citoyen au producteur, la démocratie à la démocratie « ouvrière », etc. Faute de quoi, le mouvement ouvrier serait condamné, selon Marx lui-même, à un « solo funèbre ».

La République apparaît donc comme la continuation nécessaire et dialectique de l’émancipation sociale. Elle fut une référence naturelle du mouvement ouvrier marxiste, mais sans que celui-ci l’intègre réellement dans sa perspective. Au fond, un certain marxisme (y compris dans sa problématique autogestionnaire) a toujours su mettre en avant la problématique de la démocratie directe au centre de la question sociale, mais sans voir qu’il n’y avait pas là une réponse suffisante pour la représentation politique de l’ensemble de la société. On en revient ici à la méfiance (mauvaise conseillère) à l’égard de la démocratie délégataire.

Démocratie directe et démocratie délégataire

A juste titre, le marxisme radical, comme les courants libertaires, ont dénoncé le danger de la démocratie délégataire qui est l’autonomisation des élus, l’absence de contrôle possible des mandants sur les mandataires. Le suffrage universel à bulletins secrets a ainsi été chargé de tous les maux de manipulation et d’aliénation des travailleurs.

Cependant, il reste à trouver le remède, qui ne consiste sûrement pas à supprimer le problème mais à trouver une synergie entre la démocratie directe (surtout dans le monde social et dans le monde de l’entreprise) et la démocratie délégataire.

Jacques Bidet a insisté une nouvelle fois sur le point aveugle chez Marx de la question du marché. Or il y a corrélation, à mon sens, entre le refus du marché comme l’une des composantes de l’économie et le refus de la démocratie délégataire et du suffrage universel à bulletins secrets.

L’idée sous-jacente est que le socialisme doit être le règne de la transparence totale. Tous les choix économiques et politiques doivent être préalablement éclaircis. On votera pour tout, et tous les votes devront être publics.

On voit bien à quelle dérive totalitaire une telle conception peut conduire. Au fond, elle présuppose que ce qui est caché est mauvais, ce qui n’est pas dit est inavouable, ce qui n’est pas explicite est dangereux. Or l’activité humaine n’est pas faite que de conscience. Elle est faite aussi d’inconscience, d’instinct, de désir ; la conscience individuelle et la conscience collective en sont le contrepoint. La conscience humaine rationnelle ne serait rien sans le désir irrationnel, et celui-ci à son tour serait dénué de sens s’il n’était rythmé par le conscient. Aux différentes strates articulées du conscient et de l’inconscient chez l’individu, correspondent au niveau social des mécanismes de transparence, de débat public d’un côté, de vote secret, de choix marchands de l’autre.

Ai-je le droit dans le secret de l’isoloir de choisir celle-là plutôt que celui-ci ? Ai-je le droit sans avoir à me justifier de choisir, pour moi-même comme pour mon entreprise, telle marchandise plutôt que telle autre ? Ai-je le droit de laisser parler librement mon instinct, mon intuition, mon désir, et ne sont-ils pas source de richesses tout comme l’est mon raisonnement rationnel, justifié, étayé ? Tout processus de création individuelle ou collective ne passe-t-il pas par un mouvement dialectique de l’un à l’autre ?

Le marxisme a ainsi véhiculé après Marx un vieux fond culturel judéo-chrétien, pour lequel le fond de la nature humaine est mauvais, et qu’on ne peut pas laisser livré à lui-même. Ainsi Lénine pestait-il, dans la Russie des années 20, avant d’en venir pragmatiquement à la « nouvelle politique économique » (NEP), contre la tendance spontanée de la société, y compris des ouvriers eux-mêmes, à sécréter du capitalisme…

L’impuissance face à la mondialisation

Au fond, une certaine vision du marxisme et du communisme a cultivé le goût de l’impuissance. La culture d’opposition et de protestation est parfaitement cohérente avec la peur du Mal et l’adhésion aux logiques vagues de la « gauche morale ». Refuser de briguer réellement le pouvoir, en défendant une solution politique réelle, et pas seulement un modèle de démocratie directe, forcément limitée au pouvoir « à la base », c’est se tenir soi-même à distance des mauvaises pulsions qui pourraient s’exprimer dans une économie avec marché ou dans une démocratie avec délégation.

Face à la mondialisation libérale, qui ne veut plus de règles, de frontières, de limites, voici les héritiers du communisme pris au piège. Tout discours d’autorité est assimilé à l’autoritarisme, toute défense de la nation comme cadre historique de la démocratie, est identifiée au « nationalisme », etc. Face à la mondialisation, il n’est opposé qu’une mondialisation « citoyenne », faite de mouvements associatifs aux idées et aux combats utiles, mais sans légitimité démocratique pour le plus grand nombre. Du coup, le combat du Parti communiste perd toute signification, tout sens, et c’est désormais ce qui le tue bien plus que ses erreurs ou son stalinisme passé.

Car n’est-il pas évident que la lutte contre la mondialisation et sa dérégulation généralisée passe par le retour de la puissance publique protectrice des citoyens, par le retour de la démocratie politique, comme valeur supérieure au marché, et par la défense des souverainetés populaires, qui ne peuvent s’exprimer que dans le cadre des nations ? N’est-il pas évident que les pays du tiers-monde n’ont pas, eux aussi, besoin de moins d’Etat, mais de plus d’Etat pour se défendre ?

L’idée communiste en France a toujours mélangé un fond de républicanisme social, passant par une défense progressiste de la nation au travers du Front Populaire, de la Résistance, et un vieux fond anarchiste-libertaire auxquels s’ajoute une sensibilité caritative d’inspiration chrétienne. Au moment où le Parti communiste entame la phase finale de sa disparition, où l’extrême-gauche cultive sa marginalité pure et dure, on voit bien que ce qui reste, c’est le fond anarchiste, d’une part (Lutte ouvrière en est l’incarnation), et, d’autre part, l’idéologie caritative telle qu’elle s’exprime, par exemple, au travers d’une certaine forme de soutien aux sans-papiers. Or, quelle que soit la solidarité nécessaire avec les victimes de la mondialisation, leur défense face à des administrations préfectorales qui ne sont pas toujours inspirées par les valeurs républicaines, on ne peut pas combattre la mondialisation avec une idéologie qui accepte comme naturelle le « droit à l’installation », ce qui veut dire l’acceptation de la libre circulation de la main-d’œuvre mondiale au moindre coût. La liberté d’installation, c’est ici, comme dans les pays du Sud, la liberté d’une exploitation sans limites.

Le communisme, pour rebondir sur ce qu’il a de meilleur, doit reprendre à son compte, en les chargeant du combat pour l’égalité sociale, les valeurs républicaines, de souveraineté démocratique des peuples que la bourgeoisie, embarquée dans la spirale de la mondialisation financière, abandonne maintenant qu’elles ne lui servent plus.

Le communisme et le socialisme ne pourront se relever et redevenir un espoir que si, comme disait Lénine, « les communistes cessent de cuire dans leur propre jus ». Cela passe par une profonde réflexion critique et une nouvelle ouverture au monde réel.

diffusé sur la liste utopies en 2004

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