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10es rencontres internationalistes de Vénissieux

Le vrai pourvoir qui décide de la politique italienne n’est pas en Italie !

Intervention de Luciano Gelmi, communiste franco-italien
Lundi 19 décembre 2022

Camarades,

Je vous remercie de me permettre de partager avec vous un bref aperçu de la situation politique italienne actuelle suite aux récentes élections législatives et quelques propos généraux qui y sont toutefois étroitement liés.

Les élections législatives se sont déroulées il y a un mois et demi. Le scénario des élections avait été mis au point par le système de façon à exclure toute surprise : campagne électorale brève et en plein été, obligation pour d’éventuelles nouvelles formations politiques de rassembler dans un temps très court une certaine quantité de signatures d’électeurs pour être admis aux élections, sans mentionner le tambour roulant des masses médias suffoquant toute moindre discussion sur les problèmes réelles du pays et du monde. Aussi, les résultats de ces élections correspondent-ils aux prévisions. Victoire de la droite, avec un petit déplacement des parts attribuées aux différents partis en lice et qui étaient déjà tous les porteurs d’eau de Mario Draghi et de son gouvernement. De fait, l’opposition du parti de Meloni au gouvernement Draghi n’avait été que de façade, bien intégrée dans le système.

S1 ITALIE complet

Il faut dire qu’il n’y avait personne (parti, mouvement) de taille à pouvoir créer une surprise. On a formé un mouvement – l’Union Populaire (Unione Popolare) - pour rassembler la gauche et la faire participer de cette façon aux élections. Cependant, le temps à disposition pour lui donner une certaine visibilité a été trop court. Le résultat du scrutin lui a donné quelque 1,5 %. Pour être clair : je considère le parti démocratique un parti de droite.

Le nombre de ceux qui se sont abstenus est de l’ordre des 35-36 %. De ces gens-là, la majorité (je dirais au moins 20 – 25 % sur le total des personnes ayant droit de vote) ne se sont pas rendus aux urnes, parce qu’ils ne croient plus dans le système de la « représentation parlementaire », dans le système de la démocratie bourgeoise. Voici donc une grande énergie sociale « gaspillée », ou plutôt en veilleuse, que la gauche devrait pouvoir mobiliser pour changer la donne politique. J’aimerais souligner ici toute la portée de l’affirmation : « .. ne croient plus dans le système de la représentation parlementaire du système en vigueur », c’est-à-dire de la démocratie bourgeoise.

Je voudrais quand-même signaler que les forces du Mouvement « Unione Popolare », y compris les camarades du « Potere al Popolo », « Partito di Rifondazione Comunista », « Rete dei Comunisti (Réseau des Communistes) », les membres de la centrale syndicale de base USB (Unione sindacale di base) affiliée à la Fédération syndicale mondiale, (pour ne citer que ceux-ci) ont dès le début de la campagne électorale souligné qu’elle n’était qu’une étape sur le chemin de lutte, pas le but en soi. Ces forces n’ont pas été démenties par la suite, et elles ont d’ores et déjà entrepris le renforcement et l’intensification de leurs actions quotidiennes. L’automne « chaud » a commencé – aussi en Italie !

Parlant d’élections, il est, à mon avis, important de clarifier quelles sont les vraies compétences d’un gouvernement quelconque dans l’état bourgeois italien actuel. L’Italie est membre de l’Union Européenne, elle a comme monnaie l’Euro, elle est membre de l’OTAN. De ce fait, l’État italien ne dispose plus du droit de battre monnaie (ce droit a été cédé à la Banque centrale européenne), ne décide plus de son budget annuel (coincé dans la camisole de force des accords de Maastricht et de Lisbonne et de la mainmise de la Commission Européenne), il ne décide plus de sa politique extérieure et militaire (depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, et de façon croissante, ces fonctions sont gérées par Washington et par l’OTAN). Depuis une dizaine d’années, les candidats aux postes de ministre de l’économie, des finances, des Affaires étrangères, de l’armée, ne sont confirmés dans leurs attributions que suite à l’approbation de la part des « organismes » qui décident de fait, donc de la Maison Blanche, de l’Otan, de la BCE, de la Commission européenne. Le vrai pouvoir qui décide de la politique italienne n’est pas en Italie.

Ainsi il ne reste au gouvernement qu’une seule fonction importante : celle d’exercer la répression interne. De ce côté, la bourgeoisie italienne s’est assurée depuis longtemps la mainmise sur la « gestion des cadres ».

En ne parlant que de ces ministères, je ne veux pas dire que la santé publique, l’éducation, l’environnement et autres branches de l’économie ne soient pas importants pour le pays ; ils ne le sont pas tellement pour le vrai pouvoir à effectuer un contrôle si serré. L’appareil gouvernemental italien, toute l’administration gouvernementale et régionale (ce qu’on appelle establishment) est si solidement entre les mains des représentants de la bourgeoisie, que le vrai pouvoir n’a pas besoin de perdre ses énergies sur ces questions.

Vue la montée du parti « Frères d’Italie » de Giorgia Meloni, on a parlé ces trois derniers mois beaucoup du « danger du fascisme » en Italie.

J’ai dit en haut que le résultat des élections n’a pas changé le panorama des forces gouvernementales. Tous ces partis qui ne faisaient autre chose que former un cordon de protection autour de Draghi (évidemment, y compris le parti Fratelli d’Italia de Giorgia Meloni, dont l’opposition était de façade), se sont de nouveau retrouvés plus ou moins à la même place. Certes, l’équipe des ministres, des vice-ministres, des secrétaires d’Etat a partiellement changé. Mais le programme politique et social est absolument inchangé et reste celui qu’a défini le Premier ministre sortant Draghi, dans son rôle de porte-parole de l’OTAN, de la Commission Européenne, de la Banque centrale européenne et de Washington. Aussi, la liberté de mouvement du gouvernement est-elle pratiquement nulle. Quelle que soit la formation du gouvernement, la politique qu’il devra mettre en œuvre, s’il veut sauver ses fauteuils, est celle dictée par le vrai pouvoir, le capital international. Les mesures à prendre seront fortement antisociales, lourdes pour les travailleurs. Le programme prévoit : privatisation de l’eau, ultérieur démantèlement des systèmes de santé public et d’éducation nationale, « cosmétique écologique » au profit du capital sans nullement affronter vraiment la question de l’environnement, alignement indiscuté et inconditionnel sur l’Otan et les Etats-Unis, etc.

On devra se poser la question si les propos d’une « remontée du fascisme » n’est que, ou du moins que partiellement, moyen médiatique, ayant comme but final d’intégrer définitivement la nature fasciste du système dans le « politiquement correcte ». Il faut commencer cette réflexion par dire ce qu’on entend par fascisme. Ce système est une des formes politiques, un outil, qui permet au capital d’exercer son pouvoir sur la société et d’accentuer son exploitation des travailleurs. Cette forme d’organisation de la société comprend la répression ouverte manu militari, policière, paramilitaire des opposants au système, en premier lieu des plus fermes, décidés, « dangereux », donc des représentants de la classe ouvrière. Cet élément a depuis toujours fait partie de l’arsenal du système capitaliste ; il devient plus ou moins visible selon les nécessités du capital de défendre son pouvoir. On l’a bien vu dans les années ’60, ’70, notamment lors des grandes grèves à la FIAT de Turin. Un autre exemple classique est le régime de Pinochet au Chili, pays qui a servi de laboratoire pour la version néolibérale du capitalisme. Ceci est évidemment bien connu ; il faut quand-même le rappeler pour démasquer le faux antifascisme du soi-disant « centre-gauche ». N’oublions pas qu’antifascisme rime avec anticapitalisme, qu’il n’y a pas d’antifascisme conséquent sans l’élément de l’anticapitalisme, sans la lutte contre le capitalisme ; peut-être encore l’exemple du Chili avec la nouvelle constitution rejetée, les tergiversations du nouveau président et les dangers pour la jeune démocratie chilienne en sont une preuve ultérieure.

La forme d’exercice du pouvoir qui a donné le nom de fascisme aux régimes italien, allemand, ensuite espagnol, grec, portugais – pour ne nommer que ceux-ci -, avait pour fonction la représentation des intérêts d’un capital national, capital industriel, foncier, financier. L’actuel gouvernement italien ne représente plus les intérêts du capital italien, mais du capital financier international, et en premier lieu du capital financier anglo-saxon. Ce gouvernement qui naît suite au résultat des élections d’un parti appelé à représenter le capital industriel résiduel italien et la petite bourgeoisie, c’est-à-dire, le parti de Meloni, doit donc en vérité défendre les intérêts d’un capital international qui n’a aucune raison d’être « compréhensif » envers ses frères de classe mineurs italiens.

Il y a de quoi aller prendre des cours de dialectique auprès de notre ennemi de classe : utiliser la force politique nationale qui historiquement représentait le capital national et nationaliste et dont le crédo majeur – utile au capital tout court - est la répression des travailleurs, pour assurer en fin de compte les intérêts du grand capital international !

Nous vivons à l’époque du capital néolibéral. Si le fascisme « classique » s’exerçait surtout sous forme d’oppression sanglante ouverte, aujourd’hui à cela s’ajoute une oppression « cachée » qui fait partie de notre quotidien social et politique depuis bien des années. Sans vouloir sous-estimer l’importance de la propagande des Mussolini, Hitler et autres, il faut aujourd’hui considérer que depuis de nombreuses années les médias aux mains du capital ont fait un énorme saut qualitatif (pas au sens positif, évidemment) et procèdent au minage systématique de la culture humaniste enracinée dans les luttes et la réalité quotidienne des classes populaires, du peuple, de la langue en tant que moyen de réflexion, d’analyse et d’expression raisonnée, des capacités intellectuelles et bel et bien du savoir des êtres humains. Cette oppression qui est distillée de manière subterfuge et perverse est encore plus dangereuse et lourde de conséquence. Elle est articulée pour agir sur toutes les consciences existantes : il y en a pour les fascistes à la chemise noir chanson nazie à la bouche, mais il y en aussi et surtout pour ce qui pourrait être une conscience plus citoyenne : pour donner un exemple : le capital a si bien réussi à faire passer la compréhension qui lui est utile des catégories sociales et philosophiques comme liberté, démocratie, état, qu’un communiste se trouve privé de langage. Récemment on a vu Le PSE (parti socialiste européen) lors de son congrès fin octobre à Bruxelles chanter en clôture O bella ciao. Il y avait Scholtz, Stoltenberg, Borell qui ont chanté Bella ciao. Un vrai vol du patrimoine révolutionnaire. Les ravages sont tels qu’il arrive de se poser la question si notre société aura la force d’en revenir. On dira que si le capital a décidé de rappeler à la besogne les chemises noires, c’est qu’il a compris que le ravage n’a pas été total, puisque les énergies saines réussissent à passer à l’action. Mais les communistes ont devant eux un chantier gigantesque en terme d’éducation des masses.

Pour en revenir à la situation italienne et au fait que la cheffe du gouvernement italien provient du MSI de Almirante et que ses électeurs sont en grande partie des nostalgiques de Mussolini, la seule chose que ce gouvernement « fasciste » pourra faire (et que le capital lui demande de faire), c’est de tenir un discours de « l’identité nationale » (pour usage interne italien) en le portant sur un terrain idéologique : ressusciter un discours de mémoire réactionnaire, au contenu conservateur et rétrograde sur les questions des droits civils, endurcir les rapports avec les émigrants, criminaliser les travailleurs et leurs organisations, les grèves, les conflits sociaux comme éléments « anti-italiens », « défaitistes », voire « traitres ». Pour le reste, il exécutera ce que les détenteurs du vrai pouvoir lui diront de faire.

Camarades, je pense que nous sommes à l’orée d’une nouvelle époque historique qui s’annonce dure pour les classes laborieuses. L’intensité de l’action du capital est proportionnelle à la situation dans laquelle se trouve le capitalisme mondial en tant que rapport de production : il n’y a pas d’issue « négociable » aux contradictions antagonistes du système. Le capital mettra en œuvre absolument tous les moyens dont il dispose pour ne pas céder sa position d’exploiteur. La crise systémique et la crise environnementale sont d’une ampleur et d’une teneur telle qu’elles requièrent le dépassement du capitalisme et la construction d’une société socialiste comme donnée sine-qua-non d’une solution garantissant une vie digne de ce nom aux masses des travailleurs du monde et la survie tout court de l’être humain.

Camarades, nous avons brièvement considéré la situation politique, telle qu’elle se présente en Italie après les dernières élections. En fait, nous avons simplement « photographié » la situation. Il s’agit évidement d’un exercice nécessaire, mais il ne faut pas en déduire de manière conclusive l’importance capitale et incontournable du résultat des élections et des élections en tant que telles. Pour cerner correctement la situation, pour ainsi dire, pour nous situer correctement, nous devons en premier lieu nous souvenir de ce que les fondateurs de la science socialiste - du matérialisme historique, de la dialectique matérialiste - nous ont appris, notamment sur la nature de l’état. Marx, Engels, Lénine, Gramsci et d’autres marxistes ont étudié à fond la nature de l’état, notamment de l’état bourgeois. Dans son œuvre « Etat et révolution », Lénine résume les travaux de Marx et Engels sur ce sujet en disant notamment : « L’état est une organisation particulière de la force, est une organisation de violence ayant comme but l’oppression d’une quelconque autre classe. ….. Les classes exploitatrices ont besoin du pouvoir politique dans l’intérêt de sauvegarder l’exploitation, c’est-à-dire dans l’intérêt d’une minorité infime contre celui d’une énorme majorité du peuple. »

Les récentes manifestations des exploités dans différents pays européens face à la dégradation continue de leur situation générale peuvent à court ou moyen terme porter un bloc alternatif à une victoire électorale. Par bloc alternatif j’entends un mouvement, un front uni, formé par différentes formations politiques, appelons-les « progressistes ». Dans ce contexte, les communistes doivent se préparer à agir dans une telle situation. Je dirais que, si les mouvements populaires sont un terrain favorable au travail des communistes, ce travail revêt aussi une importance primordiale. Rappelons-nous que tout mouvement populaire ayant des aspirations progressistes, anti-impérialistes, ne pourra construire une société socialiste, ou se mouvoir en cette direction, que s’il dispose d’une science révolutionnaire, c’est-à-dire, d’une science théorique et pratique qui se base sur le matérialisme marxiste. Il est donc du devoir des communistes, de leur organisation politique, de propager la connaissance de cette science parmi les masses.

Camarades. Nous venons de voir en haut que désormais, pour exercer son pouvoir d’oppression, la bourgeoisie fait recours aux forces politiques les plus obscures, les fascistes. En parlant donc de possible résultat électoral favorable aux masses populaires, ne nous adonnons pas à des illusions faciles. Nous nous rappelons et nous nous appuyons sur ce que Marx, Engels, Lénine, Fidel Castro, Hugo Chavez et d’autres nous ont appris sur la nature de l’état bourgeois, nous nous rappelons que la Commune de Paris a été écrasée par des troupes Prussiennes venues en aide aux Versaillais, nous nous rappelons avec émotion du camarade Salvador Allende, de Thomas Sankara, et j’en passe. Il est absolument nécessaire de reprendre en toute urgence l’étude de la science marxiste sur l’état bourgeois pour préparer les consciences aux évènements politiques qui nous attendent et pour avoir les idées claires pour les décisions pratiques quotidiennes qu’il faudra prendre.

Je voudrais conclure cet exposé par la réflexion suivante : désormais l’expression « monde multipolaire » est devenue courante. Le monde comme monopole du capital américain et anglo-saxon change vers un monde dans lequel sont appelés à convivre différents pôles de pouvoir. Les forces anti-impérialistes, les communistes en premier lieu, se trouveront à lutter dans un entourage social et politique modifié. Dans ce contexte, il y a une nécessité absolue d’établir, voire de renforcer, les liens entre partis : échange d’information, partage des expériences, développement de la science révolutionnaire, solidarité prolétaire active !

Ce sont là, évidemment, des propos dont on n’a point besoin de parler aux camarades du PCF de Vénissieux.

Merci, camarades, d’avoir organisé ces rencontres et, j’en suis sûr, des autres que vous organiserez dans le futur !

Vive la solidarité internationaliste !

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