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Ciné-débat sur les drogues et les trafics du 4 avril 2018

Les choix politiques fabriquent la précarité sur laquelle vivent les systèmes les plus injustes.

Drogue, trafics… regards d’une journaliste marseillaise
Viernes 6 de abril de 2018

Myriam Guillaume, journaliste de La Marseillaise qui connait bien les quartiers nord de Marseille où se déroule le film a perdu beaucoup de temps à la gare de Saint-charles à Marseille pour tenter de prendre un temps et venir au débat [1]. Elle a eu la gentillesse de rédiger et de nous transmettre son intervention que Marie-Christine Burricand a lu après le film.

J’ai commencé à travailler pour le quotidien La Marseillaise en 1999. Un journal engagé, né dans la clandestinité sous l’occupation allemande et qui lutte aujourd’hui pour sa survie, confronté à de graves difficultés financières. A l’époque déjà , nos moyens étaient limités mais nous étions plus nombreux et nous nous déployions dans tous les quartiers marseillais pour rendre compte de leur réalité quotidienne. Nous avions dédié un espace à ces thématiques « quartiers». Pour ma part, j’ai évolué dans ces quartiers marseillais, du 13e arrondissement au 16e arrondissement, les quartiers Nord, ceux qu’on aperçoit dans le film de Dridi, avec des plans dans les cités du Grand Saint-Barthélémy-Busserine, de La Solidarité. Des territoires où vivent les trois quart de la population marseillaise. Ceux qu’on aperçoit également dans ce film, parmi lesquels quelques acteurs, des cités Ruisseau-Mirabeau ou de la Savine. A ce titre le film sonne juste. Jusque dans le vocabulaire et l’accent.

Mais pas seulement. Car ces histoires là sont celles résumées dans les faits divers. Or la réalité du monde de la drogue est plus vaste. Nous, journalistes, nous efforçons de montrer toutes les facettes d’une problématique. Quand je pars à la rencontre d’associatifs, d’habitants, qui vivent au milieu de ce trafic et s’évertuent à le combattre ou qui luttent pour l’amélioration de leur cadre de vie, contre l’échec scolaire, je croise forcément les dealers. On le voit dans le film, c’est un milieu hyper organisé, installé. Les canapés au pied des barres c’est pas de la légende, l’espace public est confisqué. Il y a parfois jusqu’à la télé. Elle peut même être branchée chez le petit primeur sous les coursives de La Castellane ou raccordée aux colonnes électriques dans le hall de la Maurelette, et les patients du médecin doivent enjamber les mobiliers. La plupart du temps il n’y a pas particulièrement de mauvaise ambiance. Mais tout peut changer très vite. On a même droit à des contrôles à l’entrée de la cité par des jeunes sous cagoules. J’ai rencontré une maman avec son enfant en chaise roulante empêchée de rentrée chez elle aux heures de pointes du point de vente.

C’est un marché, un business bien présent. Il tient la place. Avec des métiers, le chouf guetteur, le coupeur, le charbonnier vendeur, Et puis ça monte vite, c’est un système pyramidal que Philippe Pujol a bien décrit.

Pour les autres, c’est la collaboration plus ou moins active. Les familles ne sont pas épargnées. Pas plus qu’elles ne le sont par les marches blanches, pour un minot tombé sous une balle perdue. L’épicier peut aussi toucher sa part. L’important c’est de garder une certaine sérénité dans la cité. Ce que chaque prise de pouvoir ou prise par les stup met en cause. Il y a aussi les mères isolées. Très vulnérables et souvent parmi les plus touchées par la précarité.

Pour ceux qui ne trempe pas, c’est la peur des représailles qui fait taire. Une omerta que des associations combattent. Des femmes à leur tête pour la plupart. Les libertés sont entravées. Les éducateurs sont désemparés. Que propose-t-on à un jeune face au gain facile ? Ils ont même intégré le temps de prison ou la mort possible. Il y a des plans de carrière.

Le deal est bien visible et il s’est effectivement développé en adoptant les recettes commerciales d’aujourd’hui. Le drive de La Castellane ou de Font Vert sont très connus. Il y a aussi les petits cadeaux commerciaux, les briquets, les feuilles. A Font Vert, on a même connu un service baby-sitting pour les mamans qui allaient acheter. Car le client, c’est tout le monde ou presque, on y vient se fournir de toutes les couches sociales et de tous les âges, de tous les quartiers et même d’au-delà . A la Belle de Mai, quartier le plus pauvre de France, j’ai rencontré des enfants de 11 et 10 ans avachis sur les jeux d’enfants du parc de la Maternité. L’un d’eux a envoyé un jet de vomi. Les autres riaient « il vomi en même temps qu’il fume !» a lancé l’un d’eux. Ils se passaient un gros joint à 11h du matin.

En janvier dernier, j’ai couvert une grève des agents de la PJJ [2] sur un site appartenant au ministère de la justice où des jeunes sont en centre éducatif. Un lieu de deal s’est installé jusque sous le panneau du ministère.

Ce dont je peux témoigner c’est de l’abandon des politiques publiques. Et de ses lourdes conséquences sur les conditions de vie des habitants les moins aisés. L’institution fabrique du monstre. Ce que Philippe a démontré dans son livre [3]. On ne peut être que d’accord puisque nous avons longtemps travaillé ensemble… dans ces quartiers auxquels on ne s’intéresse que parce qu’ils tuent. Nous y sommes allés, nous avons rencontré des personnes qui nous ont ouvert leur porte. Derrière toutes, il y a une vie à respecter.

Ces deux dernières années, j’ai pu constater qu’il y avait collusion de la problématique des migrants avec celles déjà enchevêtrées du deal, de la délinquance, de la prostitution, du logement indigne. A Kallisté, Corot, des copropriétés extrêmement dégradées dont certains immeubles sont voués à la démolition, des logements pourris sont utilisés pour l’exploitation des plus précaires. La situation est extrêmement préoccupante. Les associations et habitants ne sont entendus qu’en urgence, et qu’avec le relais des réseaux sociaux, des journalistes locaux. La prévention voit ses moyens coupés. Pour exemple, les ETAPS, [4] ont été supprimés par Christian Estrosi, alors président LR de la région. Grâce à ces emplois, les stagiaires d’Appel d’air, une association qui forme aux métiers techniques des jeunes de la PJJ, ont construit un prototype de maisons containers destinées aux rescapés de catastrophes climatiques pour le compte de la Fondation Abbé Pierre.

A Saint-Charles, dorment à même le bitume, des centaines de jeunes, dont de nombreux mineurs. Le département, pris dans un bras de fer avec le gouvernement sur le montant du budget alloué se limite à 21 places d’hébergement. Ces jeunes sont livrés à la rue et à ses dangers. Sans l’appui des politiques les habitants restent impuissants à agir et cela conduit à un fatalisme certain, mortifère. Or, ce sont les institutions, les choix politiques qui y sont faits, qui fabriquent la précarité. Celle sur lesquelles les systèmes les plus injustes vivent.

[1mais peut-être a-t-elle pu en tirer un reportage sur les réactions des usagers à la grève !

[2protection judiciaire de la jeunesse

[3La fabrique du monstre Philippe Pujol (Auteur) 10 ans d’immersion dans les quartiers nords de Marseille, la zone la plus pauvre d’Europe Paru le 13 janvier 2016 Essai (broché) Philippe Pujol, prix Albert-Londres 2014, s’est fondu pendant dix ans dans le quartier le plus pauvre d’Europe, à Marseille. Il sait fabriquer du cannabis coupé à l’huile de vidange. Il pénètre les HLM immondes, dégradés à dessein, où se pratique un culturisme stéroïdé, et repère les gosses guetteurs ou les nourrices planquées. Il se penche avec les flics de la BAC Nord, désabusés, sur les cadavres de minots de 20 ans assassinés, une Rolex à 5 000 euros au bras. Il écoute les plaintes des mères qui noient leur temps dans l’alcool et les médicaments. Depuis 2004, il est l’un des rares à faire corps avec cette inhumanité-là . En toile de fond de cette grande misère, il décortique le système qui gangrène la région PACA : grand banditisme, corruption, clientélisme, conflits d’intérêts autant de facteurs qui d’année en année, contribuent à fabriquer ce monstre.

[4Espaces territoriaux d’accès aux premiers savoirs, structures de réinsertion sociale destinées aux 18-25 ans déscolarisés, en fin ou en aménagement de peines. et dont le conseil régional PACA a coupé les vivres…

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