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Militarisme et impérialisme : l’actualité du vingt-et-unième siècle

par : Claude SERFATI
Dimanche 12 février 2006 — Dernier ajout lundi 7 septembre 2020

Les relations entre le militarisme, la guerre et le capitalisme retrouvent une nouvelle actualité en ce début de vingt-et-unième siècle. La « guerre sans limites », nouveau programme politique lancé par l’Administration Bush, marque un changement d’échelle dans le militarisme du capitalisme américain, et rappelle : plus que jamais, la mondialisation du capital et le militarisme apparaissent comme deux aspects de la domination impérialiste. Militarisme, capital et technologie Rosa Luxembourg rappelle que « le militarisme a une fonction déterminée dans l’histoire du capital. Il accompagne toutes les phases historiques de l’accumulation. »

Ses analyses font ressortir ce qu’on appellerait aujourd’hui « l’historicité » de la relation du militarisme au capital et conservent leur pertinence aujourd’hui. Elle définit « la phase impérialiste de l’accumulation [comme] phase de la concurrence mondiale du capital [qui] a le monde entier pour théâtre. Ici les méthodes employées sont la politique coloniale, le système des emprunts internationaux, la politique de la sphère d’intérêts, la guerre. La violence, l’escroquerie, le pillage se déploient ouvertement, sans masque. » Contrairement à la « théorie libérale bourgeoise [qui] sépare le domaine économique du capital de l’autre aspect, celui des coups de force considérés comme des incidents plus ou moins fortuits de la politique extérieure », Rosa Luxembourg souligne de manière très actuelle que « la violence politique est, elle aussi, l’instrument et le véhicule du processus économique ; la dualité des aspects de l’accumulation recouvre un même phénomène organique, issu des conditions de la reproduction capitaliste » [souligné par moi] Dans sa polémique contre Dühring, Engels analyse les relations entre le militarisme et le développement technologique du capitalisme. L’histoire montre que la conduite des guerres repose sur la production d’armes qui dépend elle-même de l’état de l’économie, plus précisément du développement industriel et technologique, car « l’industrie reste l’industrie, qu’elle s’oriente vers la production ou la destruction d’objets ».

Engels note les changements radicaux qui surviennent lorsque le capitalisme est devenu dominant dans le monde. « Le navire de guerre est non seulement un produit, mais en même temps un spécimen de la grande industrie moderne, une usine flottante ». Pour lui, « le militarisme domine et dévore l’Europe », et cette formule trouvera une tragique confirmation dans la guerre que les impérialismes européens se livreront à partir de 1914. La production d’armes n’est plus seulement une « branche de l’industrie moderne », elle s’est trouvée depuis la seconde guerre mondiale au cœur de trajectoires technologiques essentielles au mode de production (aéronautique et espace, électronique, nucléaire). Les dépenses militaires des Etats-Unis, mais aussi celles des autres pays impérialistes, sont restées au cours des cinq décennies suivantes à des niveaux extraordinairement élevés, au nom de la menace constituée par l’URSS. Dans ce pays, les sommes gigantesques consacrées à la défense ont consolidé la caste dirigeante et son existence parasitaire, en même temps qu’elles ont contribué à la saignée des ressources productives et financières. Le fait saillant depuis la seconde guerre mondiale est un enracinement du système militaroindustriel dans l’économie et la société des Etats-Unis, qui n’a nullement été affaibli par la disparition de l’URSS et aborde au contraire, en ce début de siècle, une nouvelle étape de consolidation. Ce renforcement du système militaro-industriel repose sur une conjonction de facteurs : une concentration industrielle et une liaison encore plus étroite des groupes de l’armement avec le capital financier, une hausse du budget militaire engagée par Clinton en 1999 et considérablement amplifiée par Bush, et une présence renforcée sur les technologies de l’information et de la communication (TIC). Ces technologies ont bénéficié de l’Initiative de Défense Stratégique de Reagan (la « guerre des étoiles ») ; elles jouent un rôle déterminant dans la « domination informationnelle » et la « guerre centrée sur les réseaux » qui sont les thèmes favoris des stratèges du Pentagone dans les années quatre-vingt-dix.

La suprématie militaire et le contrôle sécuritaire permettent aux groupes de l’armement américains de conquérir une position centrale dans le développement des TIC, dominé dans les années quatre-vingt-dix par les firmes civiles (la prétendue « nouvelle économie » et son cortège de start-ups). Les groupes de l’armement doivent également développer de nouveaux systèmes d’armes pour les armées de terre. La préparation de « guerres urbaines » (c’est l’expression employée par les experts du Pentagone) conduites par des soldats équipés d’armes hyper-sophistiquées relayant au sol l’action de l’aviation, occupe une place importante dans les budgets militaires. Il s’agit de conduire des guerres contre les populations des immenses agglomérations des pays du Sud (celles d’Amérique du Sud obsèdent les stratèges américains), et éventuellement contre les « classes dangereuses » des villes du Nord. On peut donc prévoir que l’influence majeure que les groupes de l’armement ont acquise au sein des institutions fédérales et étatiques depuis la seconde guerre mondiale, l’élargissement de l’« agenda de sécurité nationale » à des objectifs non militaires mais qui concernent de plus en plus d’aspects de la vie sociale et privée, accélèrent la formation d’un « système militaro-sécuritaire ».

Celui-ci jouera dans les prochaines années un rôle bien plus important que celui du « complexe militaro-industriel » pendant la « guerre froide ». L’impérialisme au vingt-et-unième siècle La formation de ce système militaro-sécuritaire donne à l’Etat américain une puissance considérable. On est loin du déclin de la « forme Etat » de domination du capital, qui, selon Hardt et Negri, laisserait la place à un « Empire » au sein duquel le capital et le travail s’opposeraient sans médiation.

Pour maintenir sa domination, le capital ne peut se passer d’un appareil politique, dont les institutions (judiciaires, militaires, etc.) se sont constituées, renforcées et améliorées depuis deux siècles dans le cadre des Etats des pays capitalistes dominants. Le « capitalisme mondial », dans le sens donné par ces auteurs, n’existe pas. Le capital, en tant que rapport social, a certes une propension à transcender les frontières nationales et les autres barrières (formes d’organisation socio-politique par exemple). Le « marché mondial est contenu dans la notion même de capital » disait Marx, mais il s’agit là d’un processus marqué par des contradictions qui s’expriment dans les rivalités intercapitalistes et interimpérialistes ainsi que dans les crises. C’est pourquoi l’extension mondiale du capital à toujours pris et continue de prendre une physionomie indissociablement liée aux rapports de forces inter-étatiques et à leur cortège de violences. La domination des Etats-Unis sur les autres pays impérialistes est évidente. C’est une raison qui rend improbable le déclenchement de guerres interimpérialistes comme celles qui ont eu lieu au vingtième siècle.

L’intégration des capitaux transatlantiques, entre les Etats-Unis et une partie de l’Union Européenne, s’est poursuivie et a constitué un des traits distinctifs de la « mondialisation » de la fin du vingtième siècle. Les classes dominantes des Etats-Unis et de l’Union européenne sont, dans une certaine mesure, dans la situation que Marx décrivait à propos de la concurrence entre capitalistes : ils se comportent comme des « faux frères dans la concurrence » mais comme une véritable « franc-maçonnerie » face aux ouvriers et devrait-on ajouter face aux peuples des pays soumis à leur domination. L’improbabilité de guerres entre les puissances capitalistes dominantes ne rend pas caduque la relation établie entre la guerre et l’impérialisme par le marxisme du début du vingtième siècle. Il suffit par exemple de penser à ce qui se passerait si la transformation capitaliste de la Chine sous le contrôle de la bureaucratie du PC chinois, au lieu d’accélérer les tendances centrifuges à l’œuvre dans ce pays, en venait à menacer les Etats-Unis sur le terrain de l’économie.

L’ultra-impérialisme qui permettrait au capital de dépasser ses contradictions, tel qu’il était imaginé par Kautsky, n’est sûrement pas à l’ordre du jour. La guerre conserve et accroît son rôle dans la phase actuelle de mondialisation du capital. Mondialisation du capital et militarisme La mondialisation du capital n’entraîne pas une expansion du capitalisme définie comme un élargissement de la reproduction de la valeur à l’échelle planétaire. Elle conduit plutôt à un accroissement des prédations opérées par le capital, dont les « droits de propriété » (sur des actifs financiers) lui permettent de percevoir des revenus financiers aussi bien que de s’approprier les processus du vivant. « On ne produit pas trop de subsistance proportionnellement à la population existante. On en produit trop peu pour satisfaire décemment et humainement la masse de la population ».

C’est cette contradiction que la mondialisation du capital a porté à un niveau inégalé, écrasant la plupart des pays d’Afrique et emportant au cours de la décennie quatre-vingt-dix les pays « émergents » d’Asie et d’Amérique latine dans la crise. L’Etat a toujours joué un rôle majeur dans ce processus d’expropriation des producteurs par le capital, non seulement dans la phase dite « d’accumulation primitive » mais également lors des conquêtes coloniales dont l’objectif était de soumettre les peuples et les territoires de la planète à la domination du capital. La violence des Etats est plus que jamais nécessaire aujourd’hui, aux antipodes des mystifications qui associent les « marchés » et le libre-échange à la paix et la démocratie. La mondialisation du capital s’accompagne d’un processus de marchandisation que l’on peut définir comme l’extension des espaces où le capital peut mettre en place ses droits de propriété. Telle est en effet la condition préalable à l’existence de « marchés », dont l’objectif et l’effet sont, d’une part, d’accroître la dépendance des producteurs en les rendant plus « libres », c’est-à -dire plus contraints de travailler pour le capital et, d’autre part, d’asservir de nouveaux groupes sociaux, en particulier dans les pays dominés. Ces espaces ne sont pas seulement des territoires géographiques, ce sont de nouveaux domaines d’appropriation privée, tels que la biosphère (marchés des permis de droits à polluer), les processus du vivant (brevets sur les semences, etc.) et de façon croissante les droits de propriété intellectuelle dont l’extension incessante par les tribunaux représente une sérieuse atteinte à la liberté des populations. Tous ces objectifs ne peuvent être atteints sans l’usage de la violence. Les Etats-Unis se trouvent au centre de la mondialisation du capital. Le renforcement du militarisme observé au cours des années quatre-vingt-dix n’est pas un « supplément d’âme » qui s’ajouterait à un fonctionnement économique par ailleurs « prospère ». Mondialisation du capital et militarisme sont deux aspects d’un « même phénomène organique » comme dit Rosa Luxembourg, et c’est aux Etats-Unis qu’ils sont les plus interdépendants. La puissance politicomilitaire a été un facteur déterminant dans les processus qui ont permis aux Etats-Unis, au cours des années quatre-vingt-dix et à un rythme accéléré après la crise des pays d’Asie (1997), de drainer vers ses places financières le capital argent en quête de placements dotés d’une forte « sécurité ».

Finalement, l’économie américaine a été atteinte par la récession en 2000 . Il n’est pas possible d’en analyser ici les mécanismes, mais l’important est de comprendre que si les Etats-Unis sont au cœur de la mondialisation du capital, ils sont également au cœur de ses contradictions, bien plus profondes que ne le mesurent les indicateurs utilisés pour qualifier une récession. Le développement rapide de ces contradictions a donné tort à ceux qui pensaient que les EtatsUnis américaine constituaient un « îlot de prospérité » dans l’océan des dévastations mondiales produites par la domination du capital financier (la « nouvelle économie »). Les contradictions économiques sont amplifiées, et non réduites, par la mise en œuvre des programmes budgétaires décidés après le 11 septembre 2001 et pour lequel le terme de « guerre de classes » a été utilisé.

Dans ce contexte, la « guerre sans limites » engagée par l’Administration Bush est à mettre en relation avec la trajectoire du capitalisme depuis vingt ans. Cette politique exprime les intérêts d’une oligarchie financière, dont les bases matérielles reposent sur le pillage des ressources naturelles (au premier rang desquelles figure bien sur le pétrole) et sur le paiement de la dette perpétuelle, fut-ce au prix de la mise en danger physique et même de l’existence de classes sociales et de populations les plus vulnérables. Le contrôle que les Etats-Unis et les autres pays dominants - la « communauté internationale » - sont en train d’exercer à travers des formes de gestion directe, de mandat ou de protectorat, a, encore moins que les conquêtes coloniales des impérialismes du début du vingtième siècle, la prétention et la possibilité de stimuler le développement économique des pays dominés. L’heure est plutôt, comme le continent africain en donne l’exemple tragique depuis vingt ans, au démembrement des Etats des « pays du Sud », qui ne peuvent résister aux conséquences de la domination des impérialismes. Les classes sociales dont l’existence repose sur un mode de domination sociale qui privilégie à ce point l’appropriation de la valeur créée par les producteurs, et encourage toujours plus la prédation rentière, ne peuvent qu’avoir des préoccupations de très court terme, sans égard pour les conséquences sociales et environnementales catastrophiques pour l’humanité. Elles ont besoin de gouvernements et d’institutions étatiques qui leur assurent la pleine jouissance et la sécurité de leurs droits de propriété. Plus le capital financier réussit à conforter et à étendre sa logique, et plus le besoin de la force armée grandit.

Voir en ligne : Alternatives

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