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« Mon corps m’appartient »

Témoignage de Nadia Amiri publié le 6 février 2004 dans l’Humanité
Jeudi 4 février 2010

Nadia Amiri, chercheuse en sociologie à l’EHESS, est l’aînée d’une famille de six enfants. Elle est arrivée en France en bas âge et a atterri, avec ses parents, dans une HLM de la région parisienne. L’adolescente écorchée vive s’est métamorphosée en une militante. Elle sillonne les banlieues, invitée par des associations désireuses d’entendre des voix contraires à celles qui, voilées, manifestent ostensiblement dans les rues de France. Parole.

La féministe se souvient des silences et des paupières baissées des femmes.

« À l’adolescence, il a fallu me battre pour accéder au bac général. Inconsciemment ou consciemment, les enfants d’ouvriers, de surcroît d’origine étrangère, sont »sélectionnés" pour être orientés dans des filières professionnelles. Mes parents ne pouvant payer l’université, j’ai accepté de signer un contrat avec l’hôpital qui m’assurait le SMIC durant toutes mes études, à condition toutefois de m’engager à travailler dans le service public. Par la suite, j’ai voulu prendre ma revanche, et j’ai pu décrocher un DEA en sociologie avec mention bien. J’ai vécu cette injustice au plus profond de mon être. Parce que j’étais une enfant d’ouvrier - mon père faisait les trois-huit à Flins -, je n’avais pas les mêmes chances de réussite que les autres. Mon origine sociale et ethnique était automatiquement disqualifiante. Moi, je savais que j’avais des compétences, mais le regard de l’Autre t’enferme, te ramène à des idées préconçues.

L’autre blessure, toujours à l’adolescence, a été mon conflit intrafamilial. J’ai dû fuguer de la maison afin de ne pas subir les préjugés de mes parents sur le devenir d’une femme. Ils étaient perdus entre leur propre culture et celle dans laquelle j’évoluais. Je ne leur en veux absolument pas, ils sont le fruit de leur histoire. En revanche, je suis en colère contre tous ceux qui détournent leur regard des filles issues de l’immigration pour ne pas voir leur souffrance. Qu’ont-ils vu de mes larmes ? Je rappelle que les filles d’origine étrangère sont en tête du taux de suicide. Celles qui s’habillent comme moi sont qualifiées par les intégristes, tel Hani Ramadan (1), de personnes « occidentalisées ». Pour lui, il n’y a pas d’alternative entre les femmes voilées et les femmes « occidentalisées ». Pour moi, l’émancipation consiste à avoir les outils en main pour ne pas accepter les dépendances, qu’elles soient financières ou intellectuelles. Mettre en jeu son esprit critique à chaque instant, dans le couple, avec ses amis, avec ses camarades politiques, syndicalistes ou associatifs.

Mon féminisme, c’est sans doute ce besoin de transmettre, de génération en génération, ce qu’ont été nos silences, nos paupières baissées devant les hommes, nos cheveux attachés pour ne pas « exciter » le désir. Le débat actuel devrait davantage mettre l’accent sur les douleurs tues des filles issues de l’immigration qui refusent la soumission et veulent leur liberté et leur autonomie. Je n’accepte pas l’insulte « raciste », « colonialiste » ou « islamophobe » quand on soulève ce débat. Est-ce être raciste que de considérer que toute femme, quelle que soit sa couleur de peau, son origine ou sa religion, a les mêmes droits sur notre planète ? Moi aussi, j’ai le droit de revendiquer le slogan « mon corps m’appartient ». Pour de nombreuses filles, il signifie qu’elles refusent le mariage forcé ou le contrôle de la virginité.

La France est un horizon d’attente pour les femmes, en tout cas pour mes cousines d’Algérie. C’est un rêve. Pas simplement pour son beaujolais et son camembert, mais d’abord et surtout pour la liberté. Être libre, ne serait-ce que de siroter une boisson dans un café, avec ses amis ou son copain, au regard de tous. À l’heure de la mondialisation, il faut faire référence à des pratiques planétaires quand cela concerne l’oppression des femmes. Avec la parabole, toute l’Algérie est à l’écoute du débat sur le voile islamique, cette prison que l’on porte sur soi-même.

J’estime ce débat utile, d’autant que, depuis 1905, la population française s’est transformée. Et l’islam a pris un poids considérable. Dans ce cadre, il est tout à fait normal d’assister à des conflits et à des tensions. Je préfère le débat, à condition qu’il ne soit pas truqué, aux non-dits qui, souvent, entraînent une sanction dans le vote lepéniste."

Propos recueillis par Mina Kaci

L’Humanité du 6 février 2004

(1) Tribune de Hani Ramadan dans France-Soir du 3 février 2004.

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