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Avec l’affaire Snowden, les Etats-unis accentuent leur dérive sécuritaire

«Moi, président de la Bolivie, séquestré en Europe»

Martes 13 de agosto de 2013

Le dévoilement par M. Edward Snowden du caractère tentaculaire de l’espionnage américain n’a suscité que des réactions frileuses de la part des dirigeants européens. Lesquels, en revanche, n’ont pas hésité à immobiliser l’avion du président bolivien Evo Morales, soupçonné de transporter l’informaticien fugitif.

par Evo Morales, août 2013

Le 2 juillet dernier s’est produit l’un des événements les plus insolites de l’histoire du droit international : l’interdiction faite à l’avion présidentiel de l’Etat plurinational de Bolivie de survoler les territoires français, espagnol, italien et portugais, puis ma séquestration à l’aéroport de Vienne (Autriche) pendant quatorze heures. Plusieurs semaines après, cet attentat contre la vie des membres d’une délégation officielle, commis par des Etats réputés démocratiques et respectueux des lois, continue de soulever l’indignation, cependant qu’abondent les condamnations de citoyens, d’organisations sociales, d’organismes internationaux et de gouvernements à travers le monde.

Que s’est-il passé ? J’étais à Moscou, quelques instants avant le début d’une réunion avec M.Vladimir Poutine, quand un assistant m’a alerté de difficultés techniques : impossible de nous rendre au Portugal comme prévu initialement. Toutefois, lorsque s’achève mon entretien avec le le président russe, il devient déjà clair que le problème n’a rien de technique…

Depuis La Paz, notre ministre des affaires étrangères, M. David Choquehuanca, parvient à organiser une escale à Las Palmas de Gran Canaria, en Espagne, et à faire valider un nouveau plan de vol. Tout semble en ordre… Pourtant, alors que nous sommes dans les airs, le colonel d’aviation Celiar Arispe, qui commande le groupe aérien présidentiel et pilote l’avion ce jour-là , vient me voir : «Paris nous retire son autorisation de survol ! Nous ne pouvons pas pénétrer dans l’espace aérien français.» Sa surprise n’avait d’égale que son inquiétude : nous étions sur le point de passer au-dessus de l’Hexagone.

Nous pouvions bien sûr tenter de retourner en Russie, mais nous courions le risque de manquer de kérosène. Le colonel Arispe a donc contacté la tour de contrôle de l’aéroport de Vienne pour solliciter l’autorisation d’effectuer un atterrissage d’urgence. Que les autorités autrichiennes soient ici remerciées pour leur feu vert. Installé dans un petit bureau de l’aéroport que l’on avait mis à ma disposition, j’étais en pleine conversation avec mon vice-président Alvaro Garcia Linera, et avec M. Chuquehuanca pour décider de la suite des évènements et, surtout, tenter de comprendre les raisons de la décision française, lorsque le pilote m’a informé que l’Italie refusait également l’entrée dans son espace aérien.

C’est à ce moment que je reçois la visite de l’ambassadeur d’Espagne en Autriche, M. Alberto Carrero. Celui-ci m’annonce qu’un nouveau plan de vol vient d’être approuvé pour m’acheminer en Espagne. Seulement m’explique-t-il, il lui faudra au préalable inspecter l’avion présidentiel. Il s’agit même d’une condition sine qua non à notre départ pour Las Palmas de Gran Canaria.

Lorsque je l’interroge sur les raison de cette exigence, M. Carrero évoque le nom de Edward Snowden, cet employé d’une société américaine auprès de laquelle Washington sous-traite certaines de ces activités d’espionnage. J’ai répondu que je ne le connaissais qu’à travers la lecture de la presse. J’ai également rappelé au diplomate espagnol que mon pays respectait les conventions internationales : en aucun cas je ne cherchais à extrader qui que ce soit vers la Bolivie.

M. Carrero était en contact permanent avec le sous-secrétaire aux affaires étrangères espagnol, M. Rafael Mendivil Peydro, qui, de toute évidence, lui demandait d’insister. «Vous n’inspecterez pas cet avion ai-je du marteler. Si vous ne croyez pas ce que je vous dis, c’est que vous traitez de menteur le président de l’Etat souverain de Bolivie.» Le diplomate ressort pour prendre les consignes de son supérieur avant de revenir. Il me demande alors de l’inviter «à prendre un petit café» dans l’avion. «Mais vous ne prenez pour un délinquant, lui demandé-je. Si vous tentez de pénétrer dans cet avion, il vous faudra le faire par la force. Et je ne résisterai pas à une opération militaire ou policière, je n’en ai pas les moyens.».

Ayant certainement pris peur, l’ambassadeur écarte l’option de la force, non sans me préciser que, dans ces conditions, il ne pourra pas autoriser notre plan de vol. «A 9 heures du matin, nous vous indiquerons si vous pouvez ou non partir. D’ici là nous allons discuter avec nos amis» m’explique-t-il. «Amis» ? «Mais qui donc son ces»amis«de l’Espagne auxquels vous faites référence ?» Il refuse de me répondre et se retire…

Je profite de ce moment pour discuter avec la présidente argentine Cristina Fernandez, une excellente avocate qui me guide sur les questions juridiques, ainsi qu’avec les présidents vénézuéliens et équatoriens, Nicolas Maduro et Rafael Correa, tous deux très inquiets à notre sujet. Le président Corréa me rappellera d’ailleurs plusieurs fois dans la journée pour prendre de mes nouvelles. Cette solidarité me donne des forces : «Evo, ils n’ont aucun droit d’inspecter ton avion !» me répètent-ils. Je n’ignorais pas qu’un avion présidentiel jouit du même statut qu’une ambassade.

Mais ces conseils et l’arrivée des ambassadeurs de l’Alliance Bolivarienne pour les peuples de notre Amérique (ALBAà décuplent ma détermination à me montrer ferme. Non, nous n’offrirons pas à l’Espagne ou à tout autre pays –les Etats Unis encore moins que les autres- la satisfaction d’inspecter notre avion. Nous défendrons notre dignité, notre souveraineté et l’honneur de notre patrie, notre grande patrie. Jamais nous n’accepterons ce chantage.

L’ambassadeur d’Espagne réapparait. Préoccupé, inquiet et nerveux, il m’indique que je dispose finalement de toutes les autorisations et que je peux m’en aller. Enfin, nous décollons. Cette interdiction de survol, décrétée de façon simultanée par quatre pays et coordonnée par la Central Intelligence Agency (CIA) contre un pays souverain au seul prétexte que nous transportions peut être M. Snowden, met au jour le poids politique de la principale puissance impériale : les Etats Unis.

Jusqu’au 2 juillet (date de la séquestration) chacun comprenait que les Etats se dotent d’agences de sécurité afin de protéger leur territoire et leur population. Mais Washington a dépassé les limites du convenable. Violant tous les principes de la bonne foi et les conventions internationales, il a transformé une partie du continent européen en territoire colonisé. Un injure aux droits de l’homme, une des conquêtes de la Révolution Française.

L’esprit colonial qui a conduit à soumettre de la sorte plusieurs pays démontre une fois de plus que l’empire ne tolère aucune limite –ni légale, ni morale, ni territoriale. Désormais, il est clair aux yeux du monde entier que, pour une telle puissance, toute loi peut être transgresser, toute souveraineté violée, tout droit humain ignoré. La puissance des Etats Unis, ce sont bien sûr leurs forces armées, impliquées dans diverses guerres d’invasion et soutenues par un complexe milico-industriel hors du commun. Les étapes de leurs interventions sont bien connues ; après les conquêtes militaires, l’imposition du libre-échange, d’une conception singulière de la démocratie et, enfin, la soumission des populations à la voracité des multinationales. Les marques indélébiles de l’impérialisme –fût-il militaire ou économique- défigurent l’Irak, l’Afghanistan, la Libye, la Syrie. Des pays dont certains ont été envahis parce qu’on les soupçonnait de détenir des armes de destruction massive ou d’abriter des organisations terroristes. Des pays où des milliers d’êtres humains ont été tués, sans que la Cour pénale internationale intente le moindre procès.

Mais la puissance américaine provient également de dispositifs souterrains destinés à propager la peur, le chantage et l’intimidation. Au nombre des recettes qu’utilise Washington pour maintenir son statut : la «punition exemplaire» dans le plus pur style colonial qui avait conduit à la répression des Indiens d’Abya Yala. Celle-ci s’abat désormais sur les peuples ayant décidé de se libérer et sur les dirigeants politiques qui ont choisi de gouverner pour les humbles. La mémoire de cette politique de la punition exemplaire est encore vive en Amérique latine : que l’on pense aux coups d’état contre Hugo Chavez au Vénézuela en 2002, contre le président hondurien Manuel Zelaya en 2009, contre Rafael Correa en 2010, contre le président paraguayen Fernando Lugo en 2012 et, bien sûr, contre notre gouvernement en 2008, sous la houlette de l’ambassadeur américain en Bolivie, M. Philip Goldberg. L’«exemple» pour que les indigènes, les ouvriers, les paysans, les mouvements sociaux n’osent pas relever la tête contre les classes dominantes. L’«exemple», pour faire plier ceux que résistent et terroriser les autres. Mais un «exemple» qui conduit désormais les humbles du continent et du monde entier à redoubler leurs efforts d’unité pour renforcer leurs luttes.

L’attentat dont notre pays a été victime dévoile les deux visages d’une même oppression contre laquelle les peuples ont décidé de se révolter : l’impérialisme et son jumeau politique et idéologique, le colonialisme. La séquestration d’un avion présidentiel et de son équipage –que l’on était en droit d’estimer impensable au XXI siècle- illustre la survivance d’une forme de racisme au seil de certains gouvernements européens. Pour eux, les indiens et les processus démocratiques ou révolutionnaires dans lesquels ils sont engagés représentent des obstacles sur la voie de la civilisation. Ce racisme se réfugie désormais dans l’arrogance et les explications «techniques» les plus ridicules pour maquiller une décision politique née dans un bureau de Washington. Voici donc des gouvernements qui ont perdu jusqu’à la capacité de se reconnaitre comme colonisés, et qui tentent de protéger la réputation de leur maitre.

Qui dit empire dits colonies. Ayant opté pour l’obéissance aux ordres qu’on leur donnait, certains pays européens ont confirmé leur statut de pays soumis. La nature coloniale de la relation entre les Etats Unis et l’Europe s’est renforcée depuis les attentas du 11 septembre 2001 et a été dévoilée à tous en 2004, lorsque l’on a appris l’existence de vols illicites d’avions militaires américains transportant de supposés prisonniers de guerre vers Guantanamo ou vers des prisons européennes. On sait aujourd’hui que ces «terroristes» présumés étaient soumis à la torture ; une réalité que même les organisations de défense des droits humains taisent bien souvent.

La «guerre contre le terrorisme» aura réduit la vieille Europe au rang de colonies : un acte inamical, voire hostile, que l’on peut analyser comme une forme de terrorisme d’Etat, en ce qu’il livre la vie privée de millions de citoyens aux caprices de l’empire. Mais le camouflet au droit international que représente cette séquestration constituera peut être un point de rupture. L’’Europe a donné naissance aux idées les plus nobles : liberté, égalité, fraternité. Elle a largement contribué au progrès scientifique, à l’émergence de la démocratie. §Elle n’est plus qu’une pâle figure d’elle-même ; un néo-obscurantisme menace les peuples d’un continent qui, il y a quelques siècles, illuminait le monde de ses idées révolutionnaires et suscitait l’espoir. Notre séquestration pourrait offrir à tous les peuples et gouvernements d’Amérique latine, des Caraïbes, d’Europe, d’Asie, d’Afrique et d’Amérique du Nord l’occasion unique de constituer un bloc solidaire condamnant l’attitude indigne des Etats impliqués dans cette violation du droit international Il s’agit également d’une occasion idéale de renforcer les mobilisations des mouvements sociaux en vue de construire un autre monde, de fraternité, de complémentarité. Il revient aux peuples de le construire.

Nous sommes certains que les peuples du monde, notamment ceux d’Europe, ressentent l’agression dont nous avons été victimes comme les affectant également, eux et les leures. Et nous interprétons leur indignation comme une façon indirecte de nous présenter les excuses que nous refusent toujours certains gouvernements responsables.*

Evo MORALES

*depuis, Lisbonne, Madrid, Paris et Rome ont présenté des excuses officielles à La Paz

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