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Pourquoi je ne voterai pas « non » à la Constitution

Dimanche 6 mars 2005

Dieu sait si je m’étais pourtant promis de ne pas m’en mêler. Dieu sait combien de fois je me suis répété « non, Viktor, tiens toi à l’écart ». Parfois ma main se glissait subrepticement vers le clavier de mon ordinateur, l’air de rien. Je faisais semblant de ne rien remarquer, juste pour voir de quoi la fourbe était capable. En sifflotant un petit air de Silvio, je regardais le plafond, ou mes doigts de pied, c’est selon.

Je la regarde s’emparer silencieusement de la souris. Click sur l’icône de Word. Du coin de l’oil, je surveille les basses manouvres de celle qui a décidé de me trahir. A présent, une page blanche s’affiche sur l’écran, comme un appel à céder à la tentation. Je gémis « non, non, je ne veux pas ». Elle me susurre « kesstananafout’ ? Tu te dégonfles ? ». Mais j’avais fais une promesse ! « Une promesse ? A qui ? » ricane-t-elle. "Tu ne t’étais pas promis aussi d’arrêter de fumer ?". Silence coupable. Je baisse la tête, un peu honteux, un peu pour la garder dans mon champ de vision. Ma main se détend afin de me permettre de reprendre le contrôle. Elle sent qu’elle a gagné. Click en haut à gauche. La main est sur le clavier, l’autre main finit par choisir son camp et se joint à la félonie. Elles me défient. Le putsch a réussi. Les premières lettres s’incrustent comme à regret : "Pourquoi je ne voterai pas « non »…". L’entrain dont je fais preuve n’a égal que celui ressenti lors de la rédaction d’un testament. La Constitution Européenne ? Mon Dieu, comme tout ceci me paraît être d’une gaieté folle.


Bonjour les Européens,

Ca vous dirait une bonne Constitution ? Je ne parle pas de votre santé, je parle d’un texte rédigé par un cabale masqué de technocrates décatis qui tentent désespérément d’entrer dans l’Histoire par la petite porte des manuels scolaires : "La première Constitution Européenne, rédigée par les Pieds Nickelés, entra en vigueur en 2000 et quelques. Ses auteurs sont appelés les Pères Fondateurs de l’Europe Moderne". Ouaaaahhhh. C’est Giscard d’Estaing qui va être content. Se faire virer comme président d’un pays comme la France pour devenir le papa d’un kyrielle d’états touts neufs, ça vous requinque une retraite morose, ça.

Il paraît même que la Turquie pourrait faire partie de la famille adoptive. Ca tombe bien, j’aime bien le café turque. Et, à tout prendre, un état laïque de plus ne ferait pas de mal aux rapports de forces au sein de l’Union. Mais il reste à la Turquie de faire ses preuves. Normal, un club est un club et le membership n’a plus de sens si on laisse entrer n’importe qui. Vous êtes priés d’essuyer vos babouches avant d’entrer. Oui, je sais, la Constitution et la Turquie n’ont rien à voir.

A vrai dire, les plus convaincants dans ce « débat » sur la Constitution ont été les partisans du « oui ». Redoutables débatteurs, leurs arguments m’ont profondément touché. Leur côté visionnaire ferait passer Nostradamus pour un météorologue. Et je ne me lasse pas de les reprendre.

« L’Europe a besoin d’une Constitution ». Ah ? Si vous le dites, d’accord.

« Donc, il fait adopter cette Constitution ». Ah bon ? On peut en discuter ?

"Le débat est ouvert mais c’est à prendre ou à laisser. Petit détail : si vous n’adoptez pas cette Constitution, il pleuvra pendant 40 jours et 40 nuits, des nuages de sauterelles s’abattront sur vos champs de maïs transgénique, un tsunami balayera vos côtes en emportant vos meubles de jardin en plastique blanc et tous vos nains de jardin. Vous serez obligés de dormir sous des tentes chauffées au gaz naturel et de bouffer des rations alimentaires rassis que nous renverront, hilares pour une fois, les pays du tiers monde. Fidel Castro enverra une brigade de médecins cubains qui vous enfonceront dans les fesses de grosses aiguilles rouillées datant de l’époque soviétique. Condoleezza Rice jouera du piano lors d’une soirée de solidarité organisée au Théatre du Rond Point à Paris. Alors ?…."

Hum, ça mérite réflexion. Mais je n’ai pas de nain de jardin. On peut en discuter ?

"Le débat est ouvert mais c’est à laisser ou à prendre. Petit détail : si vous ne prenez pas, l’Europe sera rebaptisée l’Atlantide et votre tout nouveau système de navigation par satellite que vous avez pris en option pour votre 4X4 ne vaudra plus rien - puisqu’il n’y aura plus d’Europe ! Alors ?…"

J’ai pas de 4X4. Alors, on en discute ou pas ?

"Le débat est ouvert, mais c’est à prendre ou à prendre. Petit détail : si vous ne prenez pas, Les Etats-Unis seront libres de tous leurs mouvements, et des hordes d’évangélistes viendront endoctriner vos enfants et vous vous retrouverez autour d’un feu de camp en train des chanter les louanges du Christ sur des airs de Gospel. Vous serez obligés de répéter le mot « liberté » toutes les 30 secondes pour prouver votre attachement aux valeurs occidentales qui nous lient. Alors ?…"

Ca nous changera des Polonais avec leur Pape. C’est tentant. Cela dit, l’Europe, un contre-poids aux Etats-Unis ? Dans combien de pays européens l’avortement est-il encore interdit et combien participent ou ont participé à la « coalition » illégale qui occupe l’Irak ? Soi-dit en passant, la Turquie a fait preuve d’un esprit bien plus grand d’indépendance en refusant son territoire aux opérations d’invasion. Et si on en discutait ? (Oui, je sais, la Constitution et la Turquie n’ont rien à voir.)

"Le débat est ouvert, mais l’affaire est close. Il faut adopter cette Constitution, et uniquement celle-ci. On pourra toujours la modifier plus tard."

Ah bon ? Il m’a toujours semblé plus facile d’adopter une Constitution (50% des voix suffisent) que de la modifier. Pour la modifier, il faudra quoi ? Une majorité des trois-quarts ou l’unanimité ? Autant dire qu’elle ne sera pas modifiée. Alors, on en discute avant ou pas ?

"Le débat est ouvert, mais l’affaire est dans le sac. Tout espoir de changer cette Constitution est illusoire. Il y a 25 pays, et les forces progressistes ne sont pas majoritaires. Il faut voter « oui ». Alors ?…"

Etrange argument. Il faut voter « pour » pour un truc pour lequel on serait « contre » parce que voter « contre » n’apporterait rien. Et c’est un député français (Jack Lang) qui a sorti cette énormité. Question : à quoi occupe-t-il ses journées à l’Assemblée Nationale, ce député socialiste, lorsque la droite propose une loi avec laquelle il n’est pas d’accord ? Vote-t-il « pour » juste parce que la gauche est minoritaire à l’Assemblée ?

"Bon, on peut toujours faire mieux mais là il faut faire avec. L’important, c’est d’avoir une Constitution, point barre. Cela dit, dépêchez-vous, le débat reste ouvert jusqu’à 18 heures, sauf les dimanches et les jours féries".

C’est comme si on disait "l’important, c’est d’avoir une loi, bonne ou mauvaise". Et si elle est mauvaise, faut l’avoir quand même ? Et si on en discutait ?

"En discuter ? Mais comment, bon sang ? On peut pas discuter sur 450 articles, soyez raisonnables… Alors ?…"

Non, mais on pourrait proposer aux gens de choisir quelques directives. Après tout, certains articles d’ordre « techniques » ne sont pas forcément très « structurants » pour l’avenir. D’autres auront un effet direct et concret. Je pense notamment aux questions des services publics, de la laïcité, des choix économiques…

"Pour ça, il faudrait organiser des référendums, t’imagines le boulot ? Laisse tomber. Alors ?…"

Ben justement, on nous propose un référendum… Pourquoi pas deux ? On aurait pu nous proposer des textes et laisser les gens choisir l’Europe qu’ils auraient aimé voir. Peut-être que les Européens n’auraient pas choisi le démantèlement des services publics au profit d’une privatisation - par exemple. On ne nous demande pas de choisir, mais de répondre « oui ou merde ». Franchement, quand on me pose une telle question, je choisis rarement « oui ». Alors, on en discute ?

Au delà du contenu même de cette Constitution, je note surtout le "modus operandi" qui a entourée sa conception et la conception de la politique qui s’en dégage. Une conception qui va à l’encontre de pratiquement toutes les aspirations citoyennes de tous les pays. Une conception qui prend totalement à contre-pied tous les discours sur une politique « plus à l’écoute ». Une politique qui se résume à « nous savons… faites nous confiance » et qui ne montre au fond qu’une seule chose : l’arrogance et le mépris qu’ils ont pour nous.

Si je ne voterai pas « contre » cette constitution, c’est pour une raison bien simple : c’est que je ne suis pas ressortissant d’un pays de l’UE et je ne peux donc pas voter. Il manquera donc une voix au camp de ceux qui savent encore se tenir debout. J’en suis désolé.

Ils nous disent qu’il faut un contre-poids aux Etats-Unis et tout ce qu’ils nous proposent c’est une « américanisation » de l’Europe. Lorsqu’ils nous auront fourgué leur Constitution libérale, bigote et hypocrite, l’Union Européenne pourra s’appeler l’Empire Européen et il ne nous restera plus qu’à élire un G.W. Bush version Vieux Continent. Mon Dieu, comme tout ceci me paraît être d’une gaieté folle.

Heureusement, il nous reste encore la « liberté » de dire « non ». Et ça, c’est une belle leçon de démocratie que NOUS leur donnerions, puisqu’ils en sont incapables.

Viktor Dedaj « non, parce que pas oui » février 2005 vdedaj chez club-internet.fr

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