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ALGÉRIE – Un peuple de Résistances

Intervention de Michèle Decaster sur l’Algérie
Samedi 19 novembre 2022 — Dernier ajout dimanche 4 décembre 2022

En cette année de célébration des 60 ans de l’Algérie indépendante, l’AFASPA s’est donné pour tâche de faire connaître les 132 années de colonisation française vécu par ce peuple et l’expérience des 60 premières années de l’Algérie nouvelle. Nous avons édité un numéro hors- série d’Aujourd’hui l’Afrique accompagné d’une frise historique sur ces 200 ans.

Que connaissons-nous en France de l’Histoire de ce peuple ? Peu de choses qui se résument souvent à trois époques : les huit années de la guerre d’indépendance, la décennie noire du terrorisme et les deux années du fantastique mouvement du Hirak.

C’est peu pour percevoir comment ce peuple a traversé et surmonté tant d’épreuves depuis l’expansionnisme de Rome au 2e siècle avant l’ère chrétienne, puis les deux vagues de conquête arabes du 7e et 12èmesiècle, suivies de la domination turque au 16e siècle, elle- même chassée par l’armée française en 1830 ouvrant la voie à une colonisation de 132 ans. Une colonisation de peuplement française et européenne dont le but était d’égaler, ou même dépasser, la population indigène afin de d’assurer la pérennité de la conquête.

L’Algérie est forte de cette mémoire collective de Résistance. Elle a permis à travers les siècles de constituer une nation qui s’est émancipée du carcan colonial.

Intervention de Michèle Decaster sur l’Algérie (extrait)

Les premières résistances à une conquête sanguinaire et décomplexée.

Débarqués le 14 juin 1830 à une vingtaine de kilomètre d’Alger, les 37 000 soldats de l’armée française ont eu raison des maigres dispositions prises par le Dey d’Alger pour protéger la ville. Malgré la vaillance des 7000 soldats formés et des 40 000 volontaires venus de Kabylie, du Constantinois et de l’Oranais, la ville est prise le 4 juillet. C’est la fin à la régence turque.

Le gouvernement français pratiquait déjà la langue à cette époque. Un texte, traduit en arabe avait été introduit à Alger un mois avant l’arrivée de l’armada :

« Aux Coulouglis et Arabes du gouvernement d’Alger,

Nos amis ! L’armée française se dirige vers Alger pour combattre et chasser de ce pays vos ennemis, les Turcs, qui vous vexent et prennent vos biens, vos récoltes, vos troupeaux, et dont le sabre est toujours suspendu sur vos têtes.

« L’armée française ne vient pas pour s’emparer de votre pays et s’y établir ; non, nous vous l’assurons. Elle vient pour rendre ces contrées à leurs anciens maîtres « Unissez-vous à nous pour chasser ces étrangers et redevenir ce que vous étiez autrefois, libres et possesseurs du pays dans lequel vous êtes nés.  »

Alger est conquise en quelques jours, le pays ne s’est pas rendu pour autant et les combats se poursuivent. Les chefs de tribus réunis le 23 juillet 1830 à Temenfous organisent la résistance. Après avoir constaté qu’ils ne pouvaient attaquer de front cette armée bien organisée, ils adoptent une technique de harcèlement.

En novembre 1932, l’émir Abdelkader est nommé pour diriger la lutte. Pendant 15 ans, il poursuit la guerre. Son autorité s’étend sur les deux tiers du pays. Il essaie de mettre sur pied et d’organiser de façon moderne l’armée algérienne qui a compté entre 12 et 15 000 hommes, auxquels des milliers de paysans volontaires s’y joignent si besoin. Il tente d’unifier l’Algérie, de bâtir un véritable Etat.

En décembre 1847 la reddition de l’émir ne marque pas la fin de la conquête. Lalla Fatma N’Soumer, jeune femme de 27 ans, va mener une résistance en Kabylie de juin 1854 à juillet 1857. Elle remporte sa première bataille en juillet 1854 face aux forces françaises à Tazrout, après deux mois de combat. Les troupes françaises sont vaincues et contraintes de se retirer. Capturée par l’armée du maréchal Randon, Lalla Fatma est emprisonnée jusqu’à sa mort six ans plus tard. Avec La Kahina, reine guerrière qui combattit les Omeyyades arabes au 7e siècle, elle symbolise le courage et l’autorité des femmes kabyles.

La résistance armée de Grande Kabylie sera soumise en 1857, après avoir résisté à 14 campagnes successives, au prix de dévastations d’une rare brutalité, sans toutefois se résigner à la domination coloniale.

De nombreuses révoltes secouent d’autres régions d’Algérie en réaction à l’humiliation, à la confiscation des terres, aux déplacements des populations et au démantèlement de l’organisation sociale. La rébellion est attisée par la misère de la population, les famines, en particulier celle de 1857. C’est à cette époque que « s’illustrent » les officiers de l’armée française, les Montagnac, Cavignac, Pélissiers et autres Saint Arnaud, par des massacres d’ampleurs et les enfumages de grottes où se réfugient et meurent des tribus entières.

« Le 15 mars 1871 El Mokrani, à la tête d’une armée de 10 000 hommes, donne le signal d’une insurrection qui prend une grande ampleur avec l’appel du vieux chef spirituel cheikh Aheddad, à qui répondent 250 tribus, capables de plusieurs dizaines de milliers de combattants.

L’insurrection s’étend comme une traînée de poudre à l’est et au sud du pays, gagne le littoral, s’empare du Constantinois. À l’ouest, les insurgés arrivent jusqu’aux portes d’Alger.

Le gouvernement français, tout en écrasant la Commune de Paris, reconstitue une puissante armée d’Afrique mobilisant 100 000 soldats et un dispositif militaire supérieur à celui qui avait permis d’asservir la Kabylie.

Le 5 mai, El Mokrani est abattu. L’insurrection se poursuivit, neuf mois durant, et avec elle une répression impitoyable : plusieurs dizaines de milliers d’insurgés sont tués, toute la population prise pour cible. Des villages entiers sont détruits. 450 000 hectares de terres confisqués sont distribués aux nouveaux colons venus d’Alsace-Lorraine. Plus de 200 chefs insurgés sont traduits devant la cour d’assises de Constantine, en 1873, et condamnés à la déportation dans les bagnes de Cayenne ou de Nouvelle-Calédonie, où se trouvent déjà les Communards.

Des hommes ayant pris part à l’insurrection sont enrôlés de force pour la campagne de Madagascar. Au nom de la « responsabilité collective des tribus insurgées », la Kabylie se voit infliger une amende de 36 millions de francs or. Meurtries, les communautés villageoises vécurent alors une véritable tragédie, dont la mémoire fut transmise de génération en génération par la littérature et la poésie orale. » [1]

Vers le sud, les tentatives de pénétration du Sahara se heurtent aux tribus Touaregs qui massacrent de la mission du colonel Paul Flatters en février 1881. Ce n’est qu’en 1905 que la France arrive à s’imposer au Sahara algérien.

Quarante ans après l’arrivée de la troupe française, la population algérienne est réduite de près d’un tiers. Evaluée à trois millions d’habitants en 1830 par l’historien Xavier Yacono, la population algérienne n’est plus que 2.125.052 en 1872. La répression et plusieurs années de famine sont passées par là.

Les ferments de la Révolution

« Le mouvement indépendantiste, lancé dans l’émigration ouvrière en France en mars 1926, sous l’impulsion de l’Internationale communiste, s’implante en Algérie.

L’Etoile nord-africaine (ENA), dirigée de Paris par Messali Hadj, crée, l’été 1933, une première section au cœur de la Casbah. Elle s’articule autour du syndicat CGTU des traminots d’Alger. La première tâche de ce groupe est la diffusion du journal El Oumma, édité à Paris. Ce journal, qui sort épisodiquement dans la capitale française, constitue le lien entre les nouveaux adhérents issus des milieux populaires. Mohamed Mestoul, véritable cheville ouvrière, est porté, par Messali Hadj, à la présidence des sections qui se forment d’abord autour de la Casbah.

Suite à l’interdiction de l’Etoile nord-africaine, en janvier 1937, par le gouvernement que préside Léon Blum, Messali Hadj fonde en 1937 le Parti du peuple algérien (PPA). Ce parti qui se réfère à l’Islam et au grand passé arabo-islamique, sera rapidement le mouvement de masse majoritaire. » [2]

Le 1er mai 1945, dans les défilés organisés à Alger, Oran, Guelma et Bougie, malgré l’interdiction, des banderoles et drapeaux algériens sont déployés. La police et l’armée tirent sur les cortèges, des manifestants sont tués, ont relève aussi de nombreux blessés. Le 8 mai dans le défilé à Sétif, malgré l’interdiction, fleurissent des banderoles où on peut lire des slogans « Indépendance » « A bas l’impérialisme » « Libérez Messali » (envoyé en l’exil où il est en résidence surveillée). La manifestation dégénère après que la police ait tué le jeune scout qui portait le drapeau algérien. 27 européens sont assassinés. En représailles, des milices se constituent pour organiser des exécutions sommaires en nombre qui ont le droit de vie ou de mort sur tout musulman suspect. A Périgotville, on fusille tous les Algériens qui savent lire et écrire. A Guelma c’est le sous-préfet Achiary, collabo durant Vichy, qui ordonne l’arrestation de centaines d’Algériens qui seront abattus à la chaîne hors de la ville. Il invite les Européens à participer au massacre « Messieurs les colons ! vengez-vous  ! » Ailleurs, la Légion écrase sous les roues de ses chars des groupes de prisonniers enchaînés. Alors que le communiqué officiel fait état de 150 tués, le consulat américain et le PPA retiennent les chiffres de 40 à 45 000 morts. [3]

Les adolescents qui ont assisté à ces massacres formeront, en 1954, les rangs du FLN et de l’Armée de Libération Nationale dont le seul objectif est : l’indépendance nationale.

Malgré un armement rudimentaire, le signal de l’insurrection est lancé dans la nuit du 31 octobre au 13 novembre 1954 par une trentaine d’actions armées à travers le pays. Dès 1955 l’ALN compte déjà plusieurs milliers de combattants et combattes. La question algérienne arrive en débat à l’ONU le 21 août 1955. La veille l’ALN avait lancé une offensive sur Skikda (ex- Philippeville).

Entre 1958 et 19621, les effectifs de l’ALN passent de 400 000 à 600 000, pour une population de 8,5 millions d’Algérien.es. Elle s’appuie sur les populations des campagnes qui vont être regroupées de force dans des camps et leurs villages seront brûlés.

Le FLN décide de porter la guerre sur le territoire de la métropole, en s’attaquant à des sites liés à la guerre : dépôts pétroliers, casernes, commissariats… L’impôt révolutionnaire payé par l’immigration algérienne en France, financera la résistance armée à la guerre coloniale que la France n’a reconnu officiellement qu’en 1999.

« Ces 8 années de guerre ont entrainé plus d’un million de victimes civiles, 400 000 personnes internées et des milliers de disparu.es, la destruction de 8000 villages, des centaines de milliers d’hectares de forêts brûlées et le regroupement de plusieurs millions de personnes, ainsi que 300 000 réfugiés en Tunisie et au Maroc. Un bilan douloureux qui laissera des traces profondes dans la mémoire collective » souligne Hassan Zerrouki dans son article.

La liesse populaire qui salue l’indépendance n’efface pas le traumatisme. L’Algérie nouvelle ne se construit pas à partir d’une page vierge, d’autant que le mouvement indépendantiste a été divisé, ainsi que l’ALN. Mais la reconstruction du pays s’effectue sur des bases toutes autres que le carcan néocolonial imposé la France à ses anciennes colonies d’Afrique subsahariennes, au travers d’accords félons « gagnants/perdants ».

62 ans après leur indépendance formelle ces pays sont encore en situation de sous- développement. Président de l’Union africaine évoquait en début d’année 2022 que 600 millions d’Africains n’ont pas accès à l’électricité. Kamilia Sefta indique dans son article relatif à l’électrification de l’Algérie que l’accès à l’électricité est passé de 30% en 1966 à près de 100% 30 ans plus tard.

A l’indépendance, le taux de scolarisation était de 25 %, en 1980 il passe à 75 %, et de 53 000 élèves scolarisés en primaire, le nombre passe de à 2 800 000. Le nombre de diplômés sortant chaque année de l’université passe de 93 à 11 000.

De 1967 à 1986 les 4 plans ont mis en service 1800 unités industrielles, générant 2 millions de postes de travail. Le nombre de médecins passe de 417 en 1967 à 3756 en 1978.L’emploi des femmes passera de 94 000 en 1966 à 365 000 en 1989, ce qui suscitera une hostilité des forces conservatrices du pays.

Entre 1970 et 1988 la population passe de 13,5 à 23,7 millions d’habitants.

Durant les premières années de l’indépendance, le débat public a souffert des restrictions des libertés politiques avec l’interdiction de la parole des communistes dont le parti a été interdit deux mois après la déclaration d’indépendance ! Il n’y a pas de vide idéologique, les forces réactionnaires ont eu beau jeu pour stopper l’embellie sociale avec l’élection de Chadli et l’installation du libéralisme dans les années 80. Crise économique aidant, elles ont ouvert la voie au fondamentalisme qui s’est emparé de la sphère politique comme le démontre Omar Bessaoud dans son article « Aux sources du fondamentalisme religieux en Algérie (1980/2000) »

La trace des expériences passées, ancrées dans la mémoire collective, se retrouvera dans les résistances des démocrates et des femmes durant la décennie noire de même qu’en 2019 où un mouvement populaire d’ampleur, le Hirak a rythmé la vie citoyenne chaque semaine par des rassemblements : les étudiants le mardi et l’ensemble de la population le vendredi. Il est intéressant de constater que dans cette période, des jeunes évoquaient les valeurs exprimées dans la Plateforme de la Soummam en août 1956, qui avait dessiné les contours du futur Etat national, défini comme une République démocratique et sociale. « Une plateforme qui ne mentionnait aucunement l’Islam, ce qui n’est sans doute pas étranger au fait qu’elle ait été jetée aux oubliettes ». [4]

Dans les défilés du Hirak se sont côtoyés les drapeaux de l’Algérie et Amazigh. Les femmes y ont participé en nombre en exprimant leurs revendications, mais au nom de l’unité du Hirak on leur a demandé peu à peu d’abandonner celle de l’abolition du code de la famille (de l’infamie comme elles disent). Les carrés des femmes ont dû être protégés. Si les islamistes étaient absents dans les débuts du mouvement, ils y ont peu à peu été visibles et la frange libérale du mouvement est même allée jusqu’à les dédouaner de leurs crimes de masse des années 90 en les imputant à l’armée. Le slogan initial du Hirak « Algérie libre et démocratique » fut supplanté dans les derniers mois par « Pouvoir civil et non militaire », un slogan lancé par la confrérie des Frères musulmans en Egypte dans les années 90 et 2000. Les couches modernistes et progressistes et surtout les femmes se sont éloignées progressivement du mouvement.

Si la pandémie et les dissensions ont conduit à une suspension des manifestations, les revendications politiques posées par ce mouvement d’ampleur n’ont pas disparu pour autant. Le peuple algérien y a fait de nouvelles expériences dont les acteurs de la société civile et politique devront tirer enseignement.

Michèle Decaster Secrétaire générale de l’AFASPA

Journées internationalistes de Vénissieux 2022

[1Article de Rosa Moussaoui dans l’Humanité, reproduit dans le hors-série d’Aujourd’hui l’Afrique

[2Taleb Abderrahmane guillotiné le 24 avril 1958 de Mohamed Rebah

[3La guerre d’Algérie Tome1 (Le torrent souterrain) Temps Actuels Henri Alleg

[4Hassan Zerrouki dans son article « C’était la guerre » paru dans l’Humanité en 2012 et reproduit dans le hors- série Aujourd’hui l’Afrique

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