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Le silence des communistes

Commune parole, commune présence…

à Pierre-Alain Millet
Samedi 6 décembre 2008 — Dernier ajout lundi 13 avril 2020

"Je vis d’un bien nécessaire Et d’un monde profitable"

Paul Éluard,

Ailleurs ici partout.

Depuis que j’ai eu quinze ans, je me suis rangé du côté des communistes. Mais c’est un engagement, au fond, plutôt familial — italien par ma mère, et français par mon père. Communiste, je l’ai presque toujours été. Dès l’enfance, même, car tout petit j’ai baigné dans cette fervente atmosphère. Les discussions, chez mes grands-parents maternels où je vivais enfant, portaient toutes sur l’avenir du monde et sur cette belle utopie que nous traversions dans la bonne humeur autour d’un plat de spaghetti. Parmi mes oncles, plusieurs avaient été des résistants de la première heure à l’occupant nazi, en France comme en Italie. Sûrement pas des héros, non. Seulement des résistants décidés. Pour nous autres, être communiste, c’était tout naturel, l’évidence même, une manière de politesse… Comme dire bonjour ou je t’aime. Comme dire merci et à bientôt. En famille, donc, nous étions très à l’aise avec ce mot-là ,

communiste

, qui résonnait très fort à nos oreilles. C’était aux yeux de tous à cette époque, chez les Vighetti comme chez les Renard, un joli mot, et l’un des plus exacts surnoms de la vie. Chez nous, ni complexe ni honte. Nous tenions, simplement, et à notre niveau, à préserver l’humanité du désastre, en la tirant vers le haut puis en l’entraînant dans le camp des désirs et de l’émancipation. Nous étions résolument pour les hommes, contre la misère et les injustices. Chez nous, point de Staline ou de Mao ! Nous aimions trop la liberté, individuelle et collective, solitaire et solidaire. Nos références étaient directement tournées vers l’Italie de Gramsci et de Togliatti, ou vers la France de 1789, de la Commune de Paris et du Front populaire. Chez nous, il n’y avait aucune place pour les dieux et pour les maîtres. Nous rêvions, en famille, d’une existence terrestre, préférant toujours l’humour et le bonheur à la cruauté et la haine. Sans doute ai-je une vision un peu déformée de ce temps-là … Mais plus je me penche avec intérêt sur mon passé, et plus je retrouve une certaine vérité dans tout ce que je viens d’énoncer. Ensuite, bien entendu, j’ai grandi et j’ai perdu, en partie, ma naïveté. Cela ne m’a pourtant pas empêché de conserver mon engagement, voire de le faire fructifier dans tout ce que j’ai pu entreprendre. À l’adolescence, j’ai définitivement choisi les deux formules qui allaient devenir les miennes et, ainsi, m’accompagner jusqu’à ce jour : changer la vie, d’Arthur Rimbaud ; transformer le monde, de Karl Marx. Je ne me suis jamais senti responsable ou coupable des crimes commis au nom du communisme. Les horreurs du vingtième siècle n’ont pas gâché mon idéal. Aujourd’hui encore, je pense qu’elles n’ont rien à voir avec ce pour quoi je me bats, ce pour quoi je me suis toujours battu — certes, le plus souvent à ma façon et dans des directions opposées ; certes, plutôt avec les armes toujours renouvelées de la poésie. Les mots sont mon domaine de prédilection. C’est pourquoi je n’entends pas comprendre le silence des communistes, leur grande vulnérabilité et leur repli identitaire. C’est pourquoi, dès que j’en ai l’occasion, je cite un court texte de Christian Bobin qui, aux pires moments d’angoisse, d’incertitude ou d’égarement, me rend à chaque fois la parole et me redonne confiance et espoir. Ce texte, il dit précisément ceci : « Il y a un communisme réel de l’écriture. C’est le même communisme que mettent en œuvre les amants quand ils s’aiment et les enfants quand ils jouent. Jouer, écrire, aimer, c’est entrer dans une société qui échappe à toute emprise du monde, c’est faire l’expérience d’une fraternité réelle, non décrétée, atteinte après avoir épuisé la singularité des voix et des chairs, après avoir traversé toutes épaisseurs de différences, sans en oublier aucune. » À ma connaissance, Christian Bobin n’est pas, et n’a jamais été, communiste. Mais ses propos me conviennent et me suffisent. Il ne faut jamais oublier la simple, et belle, puissance d’exister. Pour ma part, je demeure par-dessus tout un communiste plausible : républicain, libertaire et sentimental.

Saint-Fons, nuit du 2 décembre 2008.

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