Après avoir battu Le Pen, adhérez au parti communiste pour vous donner de la force face à Macron !
4es rencontres internationalistes 2011

Le dictateur a dégagé

poèmes de Pierre-Olivier Poyard
Lundi 28 novembre 2011

Ce jeune poète de l’Est a participé aux rencontres et a proposé deux lectures dans le débat sur les travailleurs et le monde arabe qui ont été des réussites. Avec détermination, simplicité et franchise, il a proposé ses textes en plein milieu des questions et des réponses d’un débat animé et attentif, et ses textes ont fait mouche. Ils ont fait écho aux questions et aux réponses d’une autre manière… Dans le débat politique, on cherche souvent ses mots, dans le souci d’être précis et juste. Les poètes nous disent aussi qu’il faut leur faire confiance, aux mots, pour dire avec plus de forces la vérité…

 
Karl Marx écrivait, dans les premières lignes de : «  Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte », ces quelques mots souvent cités, souvent répétés, rapportés à des situations fort différentes : «  Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d’ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce. Caussidière pour Danton, Louis Blanc pour Robespierre, la Montagne de 1848 à 1851 pour la Montagne de 1793 à 1795, le neveu pour l’oncle. Et nous constatons la même caricature dans les circonstances où parut la deuxième édition du 18 Brumaire. »
Pour ce qui est des événements et personnages historiques tunisiens, on entrevoit clairement qui joue le rôle du comique de farce : Zaba. Pour ce qui est du héros de tragédie, peut-être faut-il penser à Bourguiba, même s’il n’eut pas le courage de choisir la voie du progrès, celle du socialisme, et de s’y tenir ; sa fin, en forme de coup d’État médical, fut également plus pathétique que tragique. Quant à Zaba, Zaba le un, du début à la chute de son régime abject, lui n’aura été qu’un guignol, un pantin de l’impérialisme français et américain, cupide, salace, faible devant son épouse ogresse, faible devant sa belle-famille rapace, faible devant les plans de déstructuration imposés par le FMI8. Il n’aura été qu’un flic, un molosse, un tortionnaire. Son régime n’aura été qu’une farce abjecte, un théâtre de marionnettes ridicules.
Zaba te fixait, partout, avec ses portraits, ses espions infiltrés partout : 1 flic pour 70 habitants ! Zaba te regardait : où que tu regardais, c’est toi qu’il fixait, c’est lui que tu voyais. Ses renseignements, les SS, les services de sécurité, concentraient toutes les informations nécessaires, toutes les formes d’insécurité. Zaba partout : sécurité nulle part ! Les bandits de la belle-famille, une bien belle famille de crapules, pouvaient se servir et se faire servir ; ils ne préoccupaient pas la police, bien trop occupée à surveiller et punir n’importe qui d’autre, n’importe quoi. Zaba te fixait : désormais il est fixé sur son sort ; il ne peut que se lamenter sur sa lamentable sortie. Zaba était superstitieux : il donnait du pouvoir au sept, jour de son investiture, et en érigeait partout. Mais à la loterie de la révolte, le sept n’était pas gagnant ; Zaba n’avait pas les bonnes cartes en main, pas le bon jeu. Le peuple lui aura dit : «  Dégage ! »
 
Dégage ! Le peuple te dit «  Dégage ! », sept fois «  Dégage ! »
Pars ! Pas de répit pour ton départ ! Pas de rempart pour ton dépit !
70 voix tues le répètent, 70 voix tuées, tuées pour avoir rouspété,
Pour avoir dit : «  Cruche d’eau, miche de pain et non à Ben Ali ! »
Dégage ! Dégage ta police et ses gaz ou le peuple te dégage !
Il te dégaze comme une vieille flaque d’huile de vidange : il te vide,
Toi et ta laque, ta fausseté teinte, déteinte comme tes vieilles huiles
Corrompues, tes faussaires rompus aux vices du pouvoir puant,
Spadassins assassins vicieux des vicissitudes du pouvoir puissant.
 
Dégage ! Le peuple te dit «  Dégage ! », sept fois «  Dégage ! »
Le peuple ne dégage pas de la rue où il vit, malgré la police,
Malgré la milice, les espions pions, lampions des lampistes ;
Le peuple ne s’engage qu’à la vue où il rit, où tu dégages !
Sans gages, sans bagages : laisse là ce que tu as : pris, volé ;
Tout te sera repris ; laisse là ce que tu es ou seras : envole-toi !
Vole avec tous tes voleurs, tous tes tueurs à gages : Dégage !
 
Dégage ! Le peuple te dit «  Dégage ! », sept fois «  Dégage ! »
Vers les tyrans saoudiens, vers les tireurs d’huile, des tueurs.
«  Un chien est un chien » : les Saouds fils de chiens, chiens ;
Zaba le un fils de chien, petit-fils de chien, chien d’un chien ;
Zaba le un petit chien, pire qu’un chien ; rien, pire que rien ;
Molosse, rongeur d’os impérialiste, pire que les rongeurs,
Pire que les impérialistes : pire que tout, pour le socialisme.
 
Dégage ! Le peuple te dit «  Dégage ! », sept fois «  Dégage ! »
Même tes engagés te disent «  Dégage ! » : ils te ridiculisent !
Même tes ministres, sinistres à gages, dégagent ton château,
Te disent : " Ne prends pas d’engagements ! Prends tes gages,
Dégage ! Et… cruche d’eau, miche de pain et non à Ben Ali !"
Dégage, toi et ton jeu de sept sept fois ridicule ! Dégage ton jeu
De cartes, ton château de cartes : À bas ! 7 fois ! Toi et tes 7 !
À bas tes flics, tes flics partout ! À bas ton insécurité policière !
Zaba partout : sécurité ? Zaba parti : socialisme ! Et pour tous !
 
La violence des chiens de Zaba répandit la mort, le sang, bien présents ici en Tunisie, et même : au bord des routes. En chemin vers Kasserine, j’en ai fait l’expérience. Si la faim vous prend, vous pouvez vous arrêter dans des espèces de gargotes d’un genre somme toute assez particulier. Vous voyez des moutons attachés à un poteau. Vous montrez à l’aubergiste lequel vous met en appétit. Il s’en saisit, le conduit dans son arrière-cours et s’en occupe sans coup férir, facilement. Il en ramène une bête morte, une carcasse de viande à découper. Il la débite devant vous en petits morceaux, en essuyant ses mains ensanglantées de temps à autres. Après la cuisson nécessaire, vous pouvez manger ce que vous avez vu, ce que vous avez choisi. Je vous le conseille : c’est délicieux.
Et je m’imagine ces jeunes chômeurs manifestant, bravant une mort certaine. Je les imagine en moutons immolés par la sauvagerie des tireurs embusqués, dont la brusquerie n’eut d’égal que la lâcheté. Je pense à ces femmes qui portaient assistance à leurs fils et qui se sont fait assassiner. Je vois ce nourrisson dont la cervelle a inondé la place des fleurs, non loin de ce sept sculpté représentant le pouvoir délirant du tyran. Des moutons ? Des héros plutôt, mus par le chômage, la pauvreté, le désespoir. Des martyrs qui, quand les balles commencèrent à siffler autour d’eux, quand les morts commencèrent à tomber autour d’eux, continuèrent à crier courageusement : «  Cruche d’eau, miche de pain et non à Ben Ali ! ». Ils criaient jusqu’à en perdre le souffle, définitivement : jusqu’à en mourir, pour en finir.
En Avril, lors de mon voyage, le sept occupant la place des fleurs à Kasserine avait été enlevé. Comme partout ailleurs, dans le pays, dans la région ou dans la ville, ce symbole de la mégalomanie du dictateur avait été déboulonné, tout comme lui. Il avait été remplacé par un monument en souvenir des martyrs du mois de Janvier, un monument fleuri et surveillé chaque jour par des jeunes toujours révoltés, qui veillaient la mémoire de leurs frères, amis ou voisins assassinés. Cette place avait été rebaptisée : «  Place des martyrs ».
 
Sur la place des fleurs tombe en trombe la pluie, pleuvent les balles
Dans des mares de misère s’écoulent des fleuves noirs de sang
Rouges des crimes de la police politique : rouges cris politiques
De 70 sources inépuisées ils ruissèlent, s’écroulent et sombrent
Ils se ressourcent pour 70 ans, en 70 ruisseaux sombres dégouttant
Pour 70 ans de pleurs, gouttant des tombes des crieurs inépuisables
Les balles policières ont plu sur eux, sur ceux qui, de la misère noire
En avaient marre, n’en pouvaient plus, n’en pouvaient plus, au sang
 
Sur la place des fleurs, ici, ça ne sent pas le jasmin des journalistes
Ici, ça ne sent pas le jasmin : ça fleure le sang des journaliers : le sang
Loin des chambres d’hôtel parfumées, dans les rues ça sent la fumée
Loin des hôtels, dans les rues, chambres funéraires ensanglantées
Ça sent le sang qui ne sèche pas, qui ne dégage pas : les funérailles
Zaba peut sécher ses larmes de sang ; pas le sang des martyrs forts
Tombés désarmés. Zaba peut dégager : qu’il dégage ! Pas les morts.
 
Sur la place des martyrs, place des fleurs renommée de renommée
Rendue à ses fleurs pour ceux qui, ceux qui ne se sont pas rendus
Je vois, je revois la foule se massant, s’amassant, se faire fouler
Se faire tirer, se retirer et se faire tuer, se faire tuer, tombant comme
Masse : de jeunes hommes comme de vieilles femmes : les jeunes
S’écroulant en hommes ; les femmes, des vieilles, les ramassant,
Croulantes, mortes de leur mort, mortes de leur vieillesse forte.
 
Sur la place des martyrs, les morts font place aux fleurs, font trace
Aux pleurs : la cité des fleurs fleurit ses martyrs, devient des martyrs
La cité revit, revient au souvenir des morts, qui ne peuvent revenir 
 
Revenir en haut